6. LES IMAGES LIBRES. 1ERE PARTIE DE L'INTÉGRALITÉ DES MESSAGES ÉCHANGÉS AVEC LOÏC BOYER
6. LES IMAGES LIBRES. SIXIEME ÉPISODE.
DES INFORMATIONS DIVERSES SUR CE QUE J'AVAIS VÉCU
QUE J'AI CRU BON DE FOURNIR
A LOÏC BOYER, DE 2016 A 2021,
POUR QU'IL ÉCRIVE SON LIVRE
LES IMAGES LIBRES
PREMIERE PARTIE
Ci-dessous le lecteur trouvera tous les messages que Loïc Boyer et moi avons échangés depuis le 13/04/2016...
Mon premier message étant d'indignation puisque je venais de découvrir, sur internet, les vidéos de Cligne Cligne Magazine que Loïc Boyer s'était permis de réaliser à partir des livres que j'avais publiés, comme si ces livres étaient tombés dans le domaine public, sans me demander la moindre autorisation.
Indignation dont je lui fis part pour la forme, sans juger alors bon de le poursuivre puisque je pensais, naïvement et en toute bonne foi, qu'il n'avait pas agi malhonnêtement mais simplement par désir de bien faire en promotionnant des livres qu'il aimait et en ignorant qu'il enfreignait les lois de protections des copyrights et des droits patrimoniaux afférents comportant ceux des auteurs, des illustrateurs et ceux des producteurs des livres : des éditeurs au premier chef ou bien des concepteurs et des directeurs de collection.
Nous aurions pu en rester là et je pensais que mon indignation lui servant de leçon, Loïc Boyer s'en tiendrait désormais, dans ses diverses pratiques professionnelles de vidéaste et d'éditeur, de commissaire et conférencier d'expositions de livres pour la jeunesse... au respect de ces droits.
En suite de quoi, c'est au fur et à mesure que Viviane Ezratty, conservatrice en chef, avec Hélène Valotteau son adjointe, et toute l'équipe directrice de la Médiathèque Françoise Sagan, prirent l'initiative de confier à Loïc Boyer des responsabilités dans ce créneau d'expositions conçues pour circuler dans des bibliothèques – à partir de la première pour laquelle j'étais plus directement concerné : celle de la commémoration à Paris du “Mai 68 des enfants” –, qu'enfourchant le pas, j'estimai alors, devoir et pouvoir lui accorder ma confiance en m'engageant à amorcer avec lui une correspondance suivie.
Une correspondance qu'il souhaitait et qui, dans mon esprit, se résumerait, pour ma part, à l'informer de ce que, parmi tout ce dont j'avais été témoin et savais, je pouvais et voulais dire.
Ces choses étant posées, il me sembla que nos objectifs étaient clairs : je savais des choses qu'il ne savait pas sur ces livres des années soixante qui l'intéressaient – ceux que j'avais conçus et édités ou fait publier et ceux qu'avaient produits des éditeurs confrères de la même époque –, et je m'engageais, par un suivi de correspondance, en répondant aussi bien aux questions qu'il pouvait se poser qu'à celles qu'il aurait pu et dû se poser, à lui transmettre mes remarques et réflexions diverses...
Remarques et réflexions personnelles que je pouvais m'autoriser à faire connaître maintenant, rétrospectivement, puisque 50 années étaient passées, en toute liberté, dégagées des réserves que, pour ne pas nuire aux livres publiés, je m'étais jusqu'ici imposé de ne pas dévoiler en les taisant...
Il s'agissait bien entendu, tirées des constats précis et indubitables faits durant les étapes de mon parcours professionnel au titre d'enseignant, puis d'éditeur et concepteur d'édition, et enfin de simple observateur analyste-critique après 2003, de remarques et réflexions que m'avaient inspiré les contextes psycho-religio-politico-sociaux de toutes ces années de ma vie où je m'étais efforcé d'être tenu culturellement informé de la manière dont notre société nourrissait intellectuellement ses enfants et sa jeunesse.
Ce qui se résumait en somme, puisque j'étais entré dans la carrière de l'éducation nationale en 1947, à plus de soixante années pendant lesquelles j'ai été incité et soumis, comme chacun d'entre nous selon ses orientations, à suivre les préceptes que me dictaient mes observations, principes et options de vie, mes goûts et mes choix et, dans le pragmatisme de l'engagement, mes décisions d'action et mes affiliations à des causes qui méritaient que je leur consacre mon énergie.
Pour moi, puisque Loïc Boyer était beaucoup plus jeune que moi d'au moins trente années, je ne voyais dans cette relation épistolaire qu'un pacte de transmission-retransmission de connaissances – comme je l'avais déjà fait avec des personnes qui préparaient des thèses sur la littérature pour la jeunesse –, afin qu'il puisse, puisque ce qui l'intéressait le plus était le graphisme et la conception-fabrication de livres illustrés, reporter ce qu'il pourrait apprendre de moi, à sa manière et sous la forme qu'il choisirait, selon ses interprétations et au risque de ses mésinterprétations, vers et à l'intention de ses publics au cours de conférences et d'expositions dans les bibliothèques publiques ou privées de notre pays.
Et c'est dans cet ordre d'idée, que Loïc Boyer, sur une suggestion de ma part, m'annonça, très peu de temps après le début de notre relation, preuve que cette envie le démangeait, de son intention de préparer un livre qui mettrait à l'honneur les albums pour l'enfance et la jeunesse, publiés depuis le début des années soixante, qu'il évaluait comme étant les plus graphiquement représentatifs de l'édition française de cette époque.
2016/04/13 DE FRV A LOÏC BOYER
Mon cher Loïc Boyer,
Hélène Valotteau, à bon escient, attire, avec mansuétude, mon attention sur vous et sur vos œuvres et particulièrement sur ces traficotages que vous vous autorisez à pratiquer sur les livres que j’ai publiés. N’ayant pas la bonté d’Hélène Valotteau et étant plus personnellement concerné par ce que je considère comme faisant partie de mes propriétés et devoirs, en charge de défendre les droits des auteurs et des illustrateurs de ces livres, je suis atterré par vos audaces et par votre mépris des lois qui règlent notre profession.
Pour vous le dire tout net, je ne vois, à l’examen mené de ce que vous vous permettez de faire avec ces livres que j’ai publiés, que prétentions, présomptions et manipulations et considère que toutes vos interventions sur les livres que j’ai publiés, sans mon autorisation puisque je suis encore vivant, sans celle de mon fils, mon seul héritier, ou sans celle écrite de la direction des conservatrices responsables en dernier ressort des archives que j’ai déposées à l’Heure Joyeuse-Médiathèque Françoise Sagan, sont des usurpations éhontées qui méritent d’être sanctionnées comme détournements et abus de droits patrimoniaux par une juridiction appropriée.
Est-il besoin de vous le rappeler : ces livres m’ont tant coûté, à moi et aux miens, en affres, en suées, en rage et en pleurs parfois …et davantage encore si on tient compte de l’énergie et des talents déployés par les auteurs et les illustrateurs pour m’aider à les réaliser et à les produire, sans être parfois, ou si peu et si mal, payés… pour un résultat d’accueil tellement mitigé de la part du grand public en général, – ce qui, vu l’originalité des livres, était compréhensible –, mais tellement suspicieux et tellement “réprobatif” de la part des prescripteurs institutionnels –la joie par les livres en particulier –…Bref, ces livres et nous, les responsables de leur existence, avons tellement souffert, de l’apathie, de l’incompréhension, du peu d’enthousiasme que leur témoignèrent les gens, l’intelligentzia et la doxa de cette époque…qu’il m’arrive d’avoir envie de les venger, de nous venger, de me venger.
Vous comprendrez donc, du moins je l’espère, après avoir lu ces mots, qu’ainsi animé de cette haine tenace envers tous ces mépris essuyés autrefois qui voudraient s’exonérer aujourd’hui par des reconnaissances d’excuses bien tardives, bien inutiles et bien superfétatoires, que j’aie pu prendre la décision maintenant que la mort me guette, décision que vous méritez, de vous assigner au tribunal de justice pour que vous répondiez de vos méfaits.
Méfaits qui… méfaits que…qu’après réflexion et consultation de mon avocat, après discussion avec mes héritiers : mon fils, et les conservatrices responsables de mes archives Viviane Ezratty et Hélène Valotteau, j’ai finalement décidé, devant tant d’inconscience de votre part, tant d’assiduité dans l’exploitation des illustrations de ces livres, tant de brio, et finalement tant de talent déployé sans rémunération pour leur redonner vie, que vous pouviez, à tout bien considéré, bénéficier de circonstances atténuantes.
Aussi, sachez qu’en conclusion, pour vos bonnes intentions ainsi que pour tout ce regain d’attention que vous apportez à ces livres, même si, ne soyons pas dupe, vous en retirez, à juste titre, quelques mérites, l’homme de foi que je suis, vous salue et vous sanctifie en vous donnant, non pas l’extrême, mais cette onction qui vous permettra de dormir, d’aller en paix et de poursuivre vos petites magouilles.
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Deux années passèrent pendant lesquelles je pus supposer que Loïc Boyer, ayant pris le meilleur de ce qu'il avait à prendre dans les livres que j'ai publiés, n'avait plus aucune raison de me solliciter.
M'intéressant pourtant à lui et à ce qu'il pouvait devenir, j'appris d'Hélène Valotteau qu'il participait au montage d'expositions dans des bibliothèques de province et qu'il se chargeait ainsi, en se servant des albums publiés pour les enfants et la jeunesse, de faire des conférences qui lui permettaient, en mettant plus particulièrement en valeur les artistes de l'illustration qui avaient marqué leur temps, de s'établir dans la profession de spécialiste graphiste.
Et puis, il y eut la commémoration du “mai 68 des enfants” et Loïc Boyer reprit contact à cette occasion avec moi pour me réclamer la version de l'allocution Ce en quoi j'ai cru et qui m'a mené là où je suis allé que j'avais écrite pour participer, sans me montrer, à cette manifestation.
2018/05/23 DE LB A FRV
Cher monsieur,
J’étais l’autre jour à la journée d’étude à la médiathèque Françoise Sagan et ai conséquemment eu la chance d’entendre votre article enregistré.
Merci mille fois, c’était très intéressant !
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Puis, j'appris, à l'occasion d'un album qui était en cours aux Éditions Didier, dont Cécile Boulaire était l'autrice, que Loïc Boyer exerçait une fonction de conseiller graphique dans cette maison et nous eûmes alors une nouvelle occasion de reprendre contact.
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2018/06/26 DE FRV A LB
A propos de Mme Boulaire,
Merci Loïc pour votre message qui éclaire maintenant la proposition des éditions Didier.
Prétentieusement, Mme Boulaire se croit autorisée, en falsifiant la chronologie des publications dans le temps des différents albums que j’ai initiés – sans avoir eu besoin d’avoir l’approbation d’Harlin Quist puisque j’étais l'éditeur, gérant majoritaire de la Sarl française Les livres d’Harlin Quist – aucun livre initié par Harlin Quist n’est ici cité –, à prétendre que les illustrateurs français qui ont contribué à la réalisation des albums qu’elle a retenus – en omettant bien entendu ceux qui contrariaient sa démonstration inepte –, n’avaient fait que copier Heinz Edelman ou le flasque Seymour Chwast. Comme si ces illustrateurs Français que j’ai, de ma propre volonté recrutés, sollicités et encouragés afin qu’ils élargissent le panel des illustrations proposées aux enfants – De manière à prouver à Harlin Quist, qui ne croyait qu’en la suprématie des illustrateurs américains –, que la France n’avait rien à envier à l’Amérique...
Illustration de Bernard Bonhomme de Ah! Ernesto de Marguerite Duras.
Affiche 1969 de Seymour Chwast contre la guerre du Vietnam
Cécile Boulaire présente frauduleusement Ce Lord Seymour comme étant le pilier du Push Pin Studio alors qu'en comparaison de Milton Glaser, Reynold Ruffins, Stanley Mack, Sims Taback… et bien d’autres artistes dont Mme Boulaire n’a probablement jamais entendu parler, il était plutôt la dernière roue du carrosse.
2018/06/23 DE FRV A LB
Votre demande m'est arrivée par Viviane et je ne comprends pas pourquoi puisque j'ai toujours pensé, et pense encore, que nous pouvions nous parler de tout ce que j'ai fait et de tout ce que vous avez fait et projetiez, quels que soient vos avis personnels et même s'ils sont dévalorisants pour moi, de dire ou de faire, en toute franchise.
Je ne suis pas un mage et ai toujours refusé de devenir, ce que Patrick Couratin et Harlin Quist souhaitaient pour leur part devenir, des chefs de clan.
Parce que Clan a toujours rimé pour moi avec Gang !
Cela pour dire que j'aime la controverse mais quand elle est pratiquée de front et pas dans mon dos, sans que je puisse me défendre... Et aussi pour dire que les avis de Mme Boulaire même quand ils sont dépréciatifs ne sont pas faits pour me déplaire puisqu'ils sont révélateurs de ses insuffisances.
Avant elle, Isabelle Nières-Chevrel, mais de manière moins extrémiste et plus intelligemment fondée, en tenant compte des contextes, ne m'a pas épargné.
2018/06/25 DE FRV A LB
A Loïc Boyer,
Votre talent ne peut excuser votre ignorance des faits dont vous n’avez pas été témoin... ni vos allégations inconséquentes mal fondées et non vérifiées… Et ce, même si l’on peut supposer ou penser que vous n’êtes pas d’une nature perverse et volontairement perfide.
Les postes que vous occupez et que vous méritez ne vous donnent pas tous les droits et encore moins celui de ne pas être responsable, pleinement responsable, des initiatives que vous décidez de prendre.
J’ai compris et admis, considérant que chacun de nous avait ses limites, que vous étiez un taiseux et que vous ne donneriez pas d’explication aux initiatives que vous avez prises et que vous prendrez au fil du temps…
Ceci étant dit, j’espère que vous pouvez comprendre que vous peinez, offensez, voire outragez, les gens lorsque vous intitulez votre intervention : Les illustrateurs d’Harlin Quist alors que ce même Harlin Quist, qui ne croyait qu’au talent des illustrateurs et des artistes américains – le centre économique des arts étant devenu internationalement, après l’ère Picasso, New York et non plus Paris –, me demandait, en 1967, de ne pas montrer, lors de notre première Foire de Francfort les illustrations de Nicole Claveloux – celles du Voyage extravagant et de la Forêt des lilas –, sous prétexte qu'il avait décidé que ces illustrations étaient «unprofessional»…
C'est ce même Harlin Quist qui prétendra encore, deux années plus tard, qu’Henri Galeron n’avait aucun talent et qu’Alain Gauthier ferait mieux de faire du porno…
Vous ne pouvez imaginer la tête de déplaisir et de vexation que fit Harlin Quist lorsque le New York Times accorda – Maurice Sendak faisant partie du jury –, à ces illustrations de Nicole Claveloux, justement, le Premier prix parmi les dix livres les mieux illustrés de l’année.
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2018/06/26 DE LB A FRV
Bonjour François,
je viens de comprendre, je n’étais pas au courant de cette demande de Cécile Boulaire, ni même de Viviane.
En réalité, même si je m’occupe (modestement : un livre par an !) d’une collection pour les éditions Didier Jeunesse, je n’ai absolument rien à voir avec le projet de ces éditrices de travailler avec Cécile Boulaire sur un ouvrage consacré à la lecture de l’album.
Ceci dit, je trouverais personnellement intéressant de voir citées dans des ouvrages contemporain ces images qui me sont chères (les poissons de Corentin sont gravés en moi depuis mon enfance) et qui ont indubitablement formé mon œil (au moins), mais j’entends bien qu’il s’agit d’un souhait absolument égoïste.
Tenez-moi au courant.
Bien amicalement. Loïc
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Message de FRV, adressé aux Éditions Didier et retransmis à Loïc Boyer, à propos de l' album en cours de Cécile Boulaire – qui finalement aurait pour titre Lire et choisir ses albums –, recensant les meilleurs livres pour la jeunesse publiés dans les années 60.
2018/06/27 A LORRAINE CAPELIER
La stratégie radicale extrémiste procède toujours de la même façon : ne voir et ne choisir dans les diverses propositions offertes par ceux qu’on désapprouve et que l’on perçoit, parce qu’ils ne partagent pas vos opinions, comme des antagonistes et des adversaires, que ce qui peut être contestable et “dénigrable”…
Dès lors, dès ce constat, l’on doit admettre qu'être de parti-pris fausse tous les raisonnements et qu'à chercher la p’tite bête et ne voir que la nuisible partie des choses en celui ou celle qu'on veut abattre, en affectant parfois même l’ignorance ou en étant carrément et volontairement ignorant des bonnes parts de celui ou de celle que l'on cible et de ce qu'ils ou elles ont suscité, encouragé et produit, fait partie de la stratégie et de la rhétorique intransigeante et sectaire de ces faux perfectionnistes qui, comme Mme Boulaire, n'étant ni objectifs, ni nuancés, ne méritent pas d'être comptés parmi les professionnels-lles de la Littérature pour la jeunesse.
Mme Boulaire, héritière de Geneviève Patte et de ses vestales : Catherine Bonhomme, Evelyne Cévin et Françoise Ballanger, soutenant l'éditeur plagiaire fumiste Paul Fustier, fait partie de cette classe de gens-là.
Votre lettre essaie de me forcer à penser que je pourrais, par ce refus d’accepter la version péjorative et discréditrice de Mme Boulaire, être la cause d’une décision de suppression de cette partie d’article dans l'album que vous préparez… J'entends fort bien votre menace de chantage mais j’assume : Geneviève Patte et ses vestales incompétentes en illustration ont dénigré ces livres pendant plus de 50 ans en empêchant qu’ils accèdent à un public plus large et je choisis d’empêcher qu’une autre incompétente en matière d’illustration puisse à nouveau reprendre ce sinistre flambeau et régénérer cette dénégation.
En bref : je préfère et choisis que les Éditions Didier ne parlent pas de ces livres que j’ai publiés ou alors... Proposition de compromis... Je suggère que quelqu’un d’autre, plus apte que Mme Boulaire à s’acquitter de cette tâche, s’en acquitte à sa place!
Et pourquoi pas, Loïc Boyer, puisqu’il connait sur le bout des doigts tous les livres que j’ai publiés aussi bien que ceux de mon ex-associé Harlin Quist ?...
2018/06/27 DE LB A FRV
Bien reçu,
bien lu,
bien compris.
Merci pour ces explications détaillées,
Loïc.
2018/06/28 DE FRV A LB
> ... et pour que vous sachiez que je serais heureux si on vous confiait cette responsabilité.
> Bien à vous. FRV
2018/06/29 DE LB
Je serai moi-même très heureux et surtout fier de rédiger un tel ouvrage !
J’en ferai proposition aux Éditions Didier… ou aux Éditions MeMo... Pourquoi pas?
Je suis ravi de lire que vous citez Oscar et Eric par Carelman, car c’est effectivement un des livres précurseurs que je montre quand on me demande de raconter l’histoire de vos livres!
Bien amicalement,
Loïc
2018/06/29 DE LB
Cher François,
... plutôt qu’une rubrique, pourquoi pas un livre entier dédié à vos livres ?
Un de ces beaux livres dont sont capables les éditions MeMo?
J’ai eu Christine Morault au téléphone cet après-midi et le projet pourrait l’intéresser.
Nous nous connaissons un peu, nous estimons beaucoup et avons depuis longtemps l’envie de travailler ensemble, nonobstant les liens qui m’unissent à une maison concurrente.
Alors pourquoi pas un livre plein de grandes images puisée dans le fonds que vous avez déposé chez Viviane, bien imprimées, bien reproduites, comme ils savent les faire?
Amicalement, Loïc
2018/06/29 A LB
Non!... Pas un livre exclusivement réservé aux livres que j'ai publiés puisque certains d'entre eux ne sont pas suffisamment représentatifs des courants graphiques de cette époque mais plutôt un ouvrage qui remettrait à l'honneur les livres les plus intéressants d'une époque à définir (20 ans ou 30 ans) à partir de 1963 date de la parution de “Where the wild things are” (Max et les maximonstres) de Maurice Sendak puisque c'était la première fois, après 17 ans de maison que son éditeur, Harper and Row, consentait à lui publier un livre “en pleines couleurs”.
Le diaporama dont je vous ai parlé “Le pays qui nous appartient” était une amorce de cet historique qui soutenait et promouvait 10 albums publiés par 10 éditeurs français différents dont la liste était :
LE PAYS QUI NOUS APPARTIENT
OU
LE REGARD QUI CRÉE
ou
LE CHEMIN DES MILLE COURBES ET DES DIX MILLE COULEURS
Sur une musique composée par Armand Friedman,
avec les voix de Lucette Savier, de Jacques Cassabois
de ................. et de François Ruy-Vidal
Les dix livres qui vous sont proposés sont
dix fuites poursuites
aux trajectoires aussi sinueuses et étonnantes que
ces plaisirs de l'imaginaire en liberté
- Comment Wang-Fô fut sauvé
Marguerite Yourcenar, Georges Lemoine,
Ed. Gallimard.
- Brise et Rose
George Sand, Nicole Claveloux,
Ed. des Femmes.
- La petite géante
Philippe Dumas,
Ed. l'École des Loisirs.
- Hôtel de l’ogre
Christian Bruel, Anne Bozelec
Ed. Le Sourire qui Mord.
- Le kidnapping de la cafetière
Kayle Saari, Henri Galeron,
Ed. Harlin Quist.
- Les chaussures de Siméon
Anne Jogans, Pascale Collange,
Ed. Léon Faure.
- Pierrot ou les secrets de la nuit
Michel Tournier, Danièle Bour,
Pierre Marchand, éd. Gallimard.
- Conte numéro 1
Eugène Ionesco, Etienne Delessert,
Ed. Harlin Quist-Ruy-Vidal.
- La grosse bête de M. Racine
Tomi Ungerer,
Ed. l'École des Loisirs.
Max et les Maximonstres
Maurice Sendak,
Ed. L'École des Loisirs
Pour ma part, je souhaite être remis dans ce mouvement général plutôt que d'être, même en beauté, encore une fois, marginalisé.
Et cela aussi parce que je pense que le livre serait autrement plus intéressant. En raison notamment des multiples engagements qu'avaient pris plusieurs jeunes et moins jeunes éditeurs-trices (Christian Bruel, Nicole Maymat aux Éditions Ipomée, Pierre Marchand chez Gallimard, Jean Fabre à l'école des Loisirs... Sylvina Sclumberger-Boissonas (mécène des mouvements maoïstes français) et Antoinette Fouques aux Éditions des femmes...etc) en matière d'illustrations de type graphiques – Illustrations bien distinctes des imitations de dessins d'enfants –, de cette époque-là.
Des engagements d'importance, d'ordre politique parfois ou simplement social mais dont l'objectif principal était de valoriser le statut de l'enfant et celui de la femme...
Ce serait une bonne manière de remettre à l'honneur aussi bien Tomi Ungerer que Patrick Couratin, Henri Galeron et Alain Gauthier ou des illustrateurs plus discrets comme Philippe Dumas (Héritier avec son frère ou cousin Jean-Louis Dumas de Hermès) ou Georges Lemoine (Comment Wang Fo fut sauvé).
Je souhaite aussi, bien entendu, que les livres initiés par mon ex-associé Harlin Quist y figurent : ceux qu'il a initiés avec des illustrateurs américains : Stanley Mack, Victoria Chess... entre autres, ou avec des illustrateurs français installés à New York comme Guy Billout.
Loïc, défendez cette ligne-là et emportez l'affaire. Je serai à vos côtés pour la suite.
Bien à vous. FRV
2018/07/02 DE LB
Je raccroche à l’instant d’une conversation avec les éditions MeMo où il est apparu que cette ligne qui s’attacherait à un mouvement plus général a été très bien accueillie.
Cette approche historique de contextualisation des albums correspond tout à fait à la perspective qui intéresse Christine Morault.
Si je commence à travailler à la rentrée sur cet ouvrage, il ne faudra pas s’attendre à une parution avant 2020, même si je compte ici ou là me faire aider par quelques mains amies dans cette aventure (Sophie Heywood ? Jacques Desse ?).
Je pensais composer la partie textuelle en trois chapitres : d’abord replacer ces images dans l’histoire de l’art, ensuite raconter plus précisément l’histoire de ce mouvement éditorial et enfin s’arrêter sur votre parcours d’éditeur.
L’idée n’étant pas de faire un ouvrage universitaire, la primauté sera donnée aux images.
Voilà pour l’instant, qu’en pensez-vous ?
Amicalement, Loïc
2018/07/03 A LB
Mes réflexions ... ne vont pas tout à fait dans le même sens.
Non ! Je ne veux pas et il ne faut pas que ce livre soit à mon honneur puisque j’estime n’avoir été qu’un incitateur et un catalyseur de création. Donc : Pas de consécration !
Par contre ce qui me semble intéressant à développer c’est l’inter-échange qui s’est opéré, en partie grâce à mon association houleuse, parfois haineuse, en raison de la dévalorisation systématique que montrait Harlin Quist vis-à-vis de nos dessinateurs et de nos auteurs français, – mais stimulante pour moi : « Pauvre con !... J’vais te montrer de quoi on est capable !...» – entre les grands illustrateurs internationaux de cette contemporanéité : les américains Milton Glaser et Stanley Mack, le roumain Saul Steinberg, le polonais Roman Ciesclewicz, l’allemand Heinz Edelmann, les russes : Vladimir Sternberg (1899 - 1982 ) et Georgy Sternberg (1900 - 1933) dits les frères Sternberg, et le pasticheur Andreï Andropov, le canadien Barry Zaid, l’italien Giani Rodari …
Et les illustrateurs français que j’ai pu recruter alors, notamment cette “équipe des 5” qui avaient été formés aux Beaux-arts de St Étienne par la mère de Nicole Claveloux qui y enseignait, constituée de Nicole Claveloux, Bernard Bonhomme, Françoise Darne, Yvette Pitaud et Maurice Garnier...
Avec aussi, dans l’ordre Chronologique où je les ai recrutés : Patrick Couratin qui ne voulait dessiner qu’en noir, sa concubine Tina Mercié, Philippe Corentin, Jacques Rozier – sans sa femme Monique Gaudriault –, Roland Topor, Mila Boutan, Monique Michel-Dansac, Alain Letort, Henri Galeron, Alain Gauthier, Nicolas Guilbert…
Illustration de Nicolas Guilbert pour Le merveilleux projet de Ludovic Biscuit de Marc Desmazières
Citation à propos de Saul Steinberg :
«Saul Steinberg définissait le dessin comme «une façon de raisonner sur papier» et il restait attaché à l'acte de dessiner. Tout au long de sa longue carrière, il a utilisé le dessin pour réfléchir à la sémantique de l'art, reconfigurant les signes stylistiques dans un nouveau langage adapté au tempérament fabriqué de la vie moderne. Parfois, avec affection, parfois avec ironie, mais toujours avec une maîtrise virtuose, Saul Steinberg a retrouvé les masques soigneusement travaillés de la civilisation du XXe siècle.
Célèbre dans le monde entier pour avoir donné une définition graphique à l'après-guerre, Saul Steinberg (1914-1999) a connu l'une des carrières les plus remarquables de l'art américain. Reconnu pour les couvertures et les dessins qui ont paru dans The New Yorker pendant près de six décennies, il a également été acclamé pour les dessins, peintures, gravures, collages et sculptures qu'il a exposés internationalement dans des galeries et des musées.
Citation à propos de Roman Cieslewicz :
En 1971, Roman Cieslewicz obtient la nationalité française. De 1973 à 1975, il dirige l'Atelier des formes visuelles à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.
Il a enseigné à l'École supérieure d'arts graphiques Penninghen (ESAG). Exposition : 1972 - Musée des Arts décoratifs, Paris (France)
Deux citations de Véronique Vienne :
«Une des particularités du style Push Pin est qu’il a été plagié. Cela s’explique en partie parce que ce style était lui-même fait d’emprunts délibérés (déjà les mises en pages de l’Almanack utilisaient des références typographiques surannées, tels les médaillons, les encadrements, les cartouches, et les filets de l’époque victorienne).
Milton Glaser, lui-même un grand pasticheur, a été le plus pastiché. D’abord par Peter Max, qui a travaillé brièvement à Push Pin avant de devenir célèbre ; par Heinz Edelmann aussi, qui dessina le fameux film des Beatles, Yellow Submarine. Sans compter “I Love NY”, que Glaser dessina en 1977, et qui est peut-être le logo le plus copié du monde. Mais, comme on dit en anglais “Imitation is the best form of flattery”, l’imitation est le plus grand compliment.»
« C’est ainsi qu’une œuvre des frères Steinberg, constructivistes russes, servira de modèle à une affiche de Paul Davis, alors qu’une aquarelle de Ludwig Hohlwein, que McMullan avait demandé, finira sur la table de Glaser ou de Lewis et sera le point de départ du traitement typographique d’une page du Monthly Graphic.»
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En somme, Loïc, je pense que si vous vous en teniez à la chronologie des parutions en choisissant les illustrations en adéquation avec cette chronologie dans le temps, les influences qu’ont exercées ces illustrateurs les uns sur les autres apparaîtraient normalement comme des saluts référentiels sans que ces emprunts puissent être considérés comme des plagiats et des dévaluations des uns ou des autres.
Si je considère par exemple les six premiers livres auxquels j’ai apporté mes idées et mon soutien, cela en agissant contre les idées d’Harlin Quist, personne ne pourra jamais dire qu’ils ont été “pompés” sur qui que ce soit.
Sur le plan du style et de l’imagination, ils avaient leur propre originalité.
Je veux parler dans l’ordre de : Le voyage extravagant et La forêt des lilas de Nicole Claveloux ; de Sans fin la fête et de Conte Numéro 1 d’Étienne Delessert et de l’arbre illustré par la femme de Delessert : Éleonor Schmid.
En faisant remarquer que mon tout premier livre a tout de même été, avant que je rencontre Nicole Claveloux, La baleine de Nantucket écrit par Nicolas Genka auteur de Jeanne la Pudeur et de L’épi monstre, (livres interdits à l’exposition et à la vente) mon ami de la Bande de la D’Eaub… (Françoise d’Eaubonne, amie de Violette Leduc, fondatrice du Fhar, Front homosexuel d'action révolutionnaire, mouvement de libération des homosexuels hommes et femmes), mais que je n’ai pas voulu publier parce que Nicolas Genka voulait m’imposer des illustrations imitant les faux dessins d’enfants qu’avait réalisées son ami Roland Rollant, fils de René Moreux (graphiste célèbre qui a illustré plusieurs livres pour enfants).
Cette Baleine de Nantucket fut reprise par Christian Bourgois, ami aussi de cette époque-là (1963/1965) qui le publia en 1968 sous une autre titre L’abominable boum des entrepôts Léon Arthur.
Plutôt que de concentrer votre livre sur mon parcours d’éditeur, je préfère que ce parcours soit entremêlé avec celui de Jean Fabre, de Pierre Marchand, de Christian Bruel et de certains autres éditeurs comme Les Éditions Ipomée de Nicole Maymat (inspiratrice et incitatrice du Centre de l’illustration de Moulins sur Allier), ou comme les éditions de La Farandole, de Léon Faure, et des Éditions des femmes…
Le livre devrait se terminer par des illustrations de ces illustrateurs que j’ai contribué à faire connaître, ou par d’autres représentatives de cet avant-gardisme, en suivant toujours cette chronologie dans le temps des parutions : Claveloux, Duhême, Couratin, Galeron, Corentin, Danièle Bour, Tina Mercié, France de Ranchin, Topor, Mila Boutan, Gauthier, Constantin, Letort, Guilbert, Poupeville, … illustrations publiées par d’autres éditeurs que moi-même après mon arrêt, en 85, marqué par l’exposition La littérature en couleurs au Musée d’art moderne.
Merci, cher Loïc, de respecter ma volonté d’être et de rester un parmi les autres.
2018/07/03 DE LB
Ça me semble possible, je vais réfléchir plus sérieusement à la structure de ce livre potentiel.
Pour l’heure je serai injoignable jusqu’à la fin du mois pour cause de voyages. Je vous tiendrai au courant de mes progrès.
Merci, Loïc
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Extrait de ma lettre à Viviane Ezratty retransmis à Loïc Boyer
2019/08/22 A V. EZRATTY
Mon souci me porte à ne penser qu’à remettre les choses dans les contextes, pour qu’on comprenne mieux les ressorts et les raisons qui m’ont fait agir… Même si je suis souvent déçu par le décalage et qu’on m’ait fait souvent comprendre, depuis le temps de ces publications, que ce qui me paraissait intéressant de souligner ou de mettre en valeur, n’avait plus cours, ne paraissait plus aussi intéressant que je le pensais… que les codes avaient changé, que les enfants n’étaient plus tels qu’ils étaient de mon temps, que les options d’édition n’étaient plus les mêmes… etc...
Déjà en 1985, Charlotte Ruffaud et Christian Bruel me dirent que je répétais toujours les mêmes choses, bref qu’on m’avait assez entendu…
Thierry Magnier que j’ai vu en 2017, lors de son passage à Grenoble, m’a fait comprendre, sans oser parler franchement, que mes points de vue étaient périmés, que la littérature pour la jeunesse avait évolué, qu’on n’écrivait plus comme j’écrivais et qu’on ne publiait plus comme j’avais publié… etc...
N’est-ce-pas là le besoin de se croire différent, parfois supérieur et en avance, loin devant ce qui a été fait, dit, écrit dans le passé, comme si on se plaçait soi-même dans un présent éternel ?... Afin d’affirmer sa singularité et son intemporanéité ?...
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2018 09 03 DE LB
Merci pour ta réponse et pour les précieuses photos.
Ces détails me permettent d’être précis dans la recension des évènements.
Tu ne donnes pas à fonds perdus, si c’est ça qui t’inquiète, car tout est pour le projet et effectivement je ne commente guère en retour ce que tu me racontes car j’essaie surtout d’en faire de la matière pour le livre. Lequel ne servira ni ma fortune ni ma gloire mais /car je n’ai de projets dans aucune de ces deux disciplines.
Par ailleurs, comme je dois bien travailler pour gagner ma vie, je passe parfois plusieurs semaines sans toucher à ce projet. J’espère que ceci explique cela.
Je ne suis pas étonné que tes voisins soient surpris par tes livres mais encore moins que leurs enfants soient enthousiastes. J’ai lu ces Contes de Ionesco à mes filles et c’était toujours un plaisir partagé (la plus jeune a aujourd’hui 14 ans). Oui ces parents sont incultes, peut-être plus encore que leurs prédécesseurs des années 1970. Même les « spécialistes » qui travaillent aujourd’hui dans l’édition ou les bibliothèques spécialisées sont parfaitement ignorantes (oui, surtout des dames, toujours) de ce qui les a précédés… mais c’est ce qui me pousse toujours à montrer et raconter, expliquer comment les choses se sont faites, dans l’espoir qu’à la fin soit écartée la médiocrité des étagères promises « à ces gens d’avenir que sont les enfants » pour reprendre une formule de Gilles de Bure.
Parler de Grasset Jeunesse ou même de Gallimard Jeunesse mais négliger l’École des loisirs dont le succès repose avant tout sur le génie commercial de Jean Delas, par exemple. J’y crois encore - ça ne durera peut-être pas toujours - et ton aide m’est précieuse. Les photos, le papier à en-tête que tu m’as envoyé, tes réponses précises et détaillées comme celle-ci à propos de Gallimard sont essentielles, l’attitude de Pierre Marchand… qui d’autre pourrait raconter ça ?... Oui je compte bien puiser dans cette richesse mais c’est pour le livre, les conférences, les formations, les enfants surtout. Moi, je n’existe pas.
Alors dans l’espoir d’une nouvelle réponse, je t’interroge à nouveau, cette fois, puisque je suis jusqu’au cou dans la période Grasset, au sujet de Danièle Bour : comment l’as-tu découverte ? Est-elle venue à toi avec un projet de livre ? Qu’est-ce qui t’a touché dans ses images ?
Bref, je ne te lâche pas. Loïc
2018 11 14 DE LB
Bonjour François,
j’étais hier à Nantes pour parler de ce projet de livre avec les éditeurs de la maison MeMo.
Je leur ai dit que je souhaitais un livre de 720 pages et je crois que l’audace du projet les a séduits. Ils sont également contents que ce projet ne ressemble pas à ce que les autres éditeurs pour la jeunesse sont capables de faire mais plutôt à certains volumes consacrés aux architectes ou aux artistes contemporains. Bref, ils sont partants et ça me fait bien plaisir.
Reste maintenant à me mettre au travail... Il faudra que nous nous voyions ! Qu’en pensez-vous ?
Concernant le titre, j’ai très envie de reprendre La Littérature en couleurs qui me semble à la fois poétique et tellement juste. Je sais qu’il nomme déjà un livre (que vous m’aviez offert à Rouen) mais c’est un si bon titre !
Bien à vous, Loïc
2018/11/16 A LB
Il ne reste plus... qu'à se mettre au travail.
La veille de ton message j'ai pensé à vous, à toi, pendant une bonne partie de la journée, inquiété par ton silence mais pas seulement comme si j'avais le présentiment que tu étais dans l'air près de moi – oui, j'ai ce flair de voyant qui m'a causé bien des torts dans le passé! – et, effectivement, en lisant un magazine de Grenoble, relatant des activités dans l’agglomération, j'ai découvert que s'ouvrait à la “Bibliothèque du jardin de ville” une exposition dont tu étais le responsable.
Ton message m'est arrivé alors que je me demandais si je ferai l'effort de me rendre à cette bibliothèque alors que je fuis toutes les bibliothèques de la ville et tout lieu où l'on pourrait parler des livres que j'ai édités : Le centre du Design d'Échirolles par exemple ou mieux encore le couvent St Cécile devenue le siège de la fondation de Jacques Glénat...
J'habite dans un immeuble mitoyen de la médiathèque de l'Odyssée et j'ai réussi à obtenir que l'on ne le sache pas.
Thierry Magnier, seule personne du métier que je vois lorsqu'il vient à Grenoble pour le mois du livre a tenu promesse de ne pas dire où je vis...
Cela pour te dire que je ne suis pas très partant pour qu'on se revoit alors que tu es vraiment bien la personne que j'ai le plus envie de revoir puisque je n'ai gardé de notre première rencontre à Rouen qu'un vague souvenir...
Mais, avance ton projet et puis... car ce n'est pas une simple histoire. Recenser d'abord les images et les placer dans des chronologies qui se superposent en strates subtils qui s'épousent ou se contrarient, selon le principe vieux comme le monde d'action-réaction, celles correspondants aux influences de la littérature bien entendu, qui dépendent d'elle et sont donc bien facilement repositionnables dans le temps en fonction de l'époque précise et de l'esprit de cette époque-là... mais, aussi, celles qui sont avant tout graphiques, œuvres d'art à part entière, faisant mentir le préjugé qui considère l'illustration comme un art mineur...
Images qui correspondent à des initiatives graphiques indépendantes de la littérature ou sans grand rapport avec la littérature : celles de Galeron, de Couratin ou de Letort... tous trois se flattant de ne pas aimer lire et d'ignorer même la littérature... exemples typiques de ces artistes qui peuvent être géniaux sans être des littéraires ou assujettis à la littérature.
Illustrations d'Alain Letort pour le livre Contes et légendes en pays normand de Pierre Lebigre
Je pense qu'il faut, pour définir cette Jeune garde (plutôt qu'avant-garde), mettre l'accent sur la grande différence qui existe entre les illustrations de type strictement représentatives de la réalité, celles qui seraient seules susceptibles d'être comprises par les enfants et les autres qui correspondent aux évolutions diverses subies par la peinture et qui, comme la peinture, depuis l'invention de la photographie, tendent vers l'abstraction et la non-obligation figurative, vers la définition de Paul Klee qui dit que l'art doit créer sa propre réalité !“L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible”.
Ceci pour soutenir qu'il y a autant de mérite dans notre “civilisation des images” d’aujourd’hui à inventer, concevoir, imaginer des images chargées de sens qu'on en avait autrefois à exprimer et à s'exprimer avec des mots.
Et puisque je suis dans les citations il y en a une de Victor Hugo qui est significative : “Où le pied ne va pas, le regard peut atteindre, où le regard s'arrête, l'esprit peut continuer”
Et, pour finir, mon message en souriant, pour te remercier de l'attention que tu m'accordes et dont je suis fièrement honoré, cette citation de Chaissac en souhaitant qu'elle te fasse aussi sourire :
“Cher ami,
Il y a, à La Rochelle, une vieille demoiselle qui vient de se mettre à l'art abstrait. Elle en avait envie depuis longtemps mais pensait que c'était DÉFENDU. Gaston CHAISSAC
(Citation trouvée chez Patricia Menay, librairie Anima, rue Ravignan à Montmartre)
Avec mon amitié. François
2018 11 17 : ENTREFILET TROUVÉ PAR HASARD DANS UN QUOTIDIEN DE GRENOBLE :
Mercredi 16 mai de 19h à 20h
L'Heure de la découverte par Loïc Boyer":
"Origines et destins des illustrateurs de la galaxie Quist,
2018/11/19 A ET DE LB
J'avoue être très, très, très surpris par tes cachoteries.
A quoi joues-tu?...
Ci-jointe tu trouveras l'annonce que je découvre avec stupéfaction dans le journal de Grenoble où je vis ... Ce n'est pas honnête de ta part !
EXPOSITIONS “ LES ENFANTS DU DÉSORDRE ”
DU MARDI 6 /11 AU SAMEDI 29/12
Par Loïc Boyer designer et graphiste :
Les albums, documentaires et romans d’hier
qui ont influencés les auteurs de littérature jeunesse d’aujourd’hui
Bibliothèque Jardin de Ville (6, Place de Gordes
Mardi et vendredi de 15 H à 18 H
mercredi de 10 H à 12 H et de 14 H à 18 H
samedi de 10 h à 12 H 3
Entrée libre (Tel : 04 76 00 77 00)
Cette bibliothèque est située juste à côté de la maison de Stendhal et il m'arrive souvent, l'été, de déjeuner dans un restaurant qui donne sur ce jardin de ville...
Je me promets d'aller voir l'expo et te dirai ce que j'y ai trouvé.*
A plus tard pour amorcer les contours de ton livre...
2018/11/19 DE LB
Mais qu’est-ce que c’est que ça??!!!
J’ai fait un article/conférence il y a quelques années sur ce thème, mais…
Tu peux me donner la source ? L.
2018 11 19 DE LB
Merci pour ces images, je vois que tu sais accueillir les oiseaux en hiver,
C’est important !
En revanche je ne vois pas de quelle exposition tu parles - peut-être un homonyme ?
La seule expo qui m’occupe en ce moment est celle prévue à partir du mois prochain à Marseille dont tu es au courant et dont – grâce à Cécile Vergez-Sans –, je suis le scénographe.
Mais pour revenir à ton propos relatif à la définition de cette avant-garde, ne crois-tu pas que ce qui les caractérisait était d’être des illustrateurs qui ne cherchaient pas à plaire à un public enfantin ?
Des artistes qui, à l’inverse de Nathalie Parain ou Jean de Brunhoff (qui sont estimables par ailleurs mais ça n’est pas le sujet), n’ont pas orienté la forme de leur travail pour tenter de toucher les plus jeunes mais qui ont plutôt fait les images qu’ils souhaitaient réaliser, d’une manière plus « universelle
Et que cette sincérité de leur part est la garantie d’une prise au sérieux des enfants.
Dis-moi. Loïc
2018 11 20 DE LB
Après enquête, il s’avère que c’est un projet d’exposition pour l’automne 2019 (le titre est provisoire) et que les bibliothécaires songent à me faire intervenir pour une formation / visite / conférence dans ce cadre. Pour l’instant on en est là.
Je me demande bien comment tu as eu accès à ces informations, mais quoi qu’il en soit ça nous a permis, elles et moi, d’entrer en contact, alors merci. L.
2019 09 04 DE FRV A LB
Loïc, tu demandes et réclames... Donc tu vas être servi... mais à t'étouffer je t'avertis.
Dans les deux lettres que je t'envoie, en glanant, tu vas te faire “ton idée” et c'est ce que je préfère. Sinon je vais te gaver.
J'avais un prisme d'instit et j'étais passionné de littérature. De plus, depuis l'enfance (mes 5 ans) en 1936, je passais mon temps à scruter, puisqu'il n'y avait pas de livres à la maison ni à l'école, ni dans mon bled, les reproductions de tableaux en teinte sépia qui figuraient dans les deux tommes du Larousse de la famille.
Mon option était la littérature illustrée.
Ces tableaux, je te les envoie en PJ, recelaient toutes les beautés et cruautés du monde. En particulier la décapitation de St Denis...
Mais pour répondre précisément à ta question je t'adresserai ensuite des extraits déjà maintes fois écrits où je l'ai traitée et maltraitée...
2019/09/24 DE LB
Hello François,
Commençons donc notre bavardage.
Pour commencer j’aimerais savoir quel regard tu portais, au début des années 1960, sur la production éditoriale à destination de l’enfance en France.
2019/09/26 DE LB
Bonjour François,
un message au passage pour savoir si tu voudrais bien répondre à quelques questions par e-mail, toujours pour le projet de ce fameux livre autour des illustrateurs - et leurs livres - apparus dans les années 1966-1986
Je n’ai pas eu de réponse à mes derniers envois, fais-moi signe si tu reçois ce message.
Bien amicalement,
2019/09/27 A LB
Je n'ai rien reçu de toi depuis l'expo de Marseille et par discrétion ne te sollicitais pas... j'avais l'impression que tu étais sur une autre planète.
J'étais persuadé qu'Hélène te tenait au courant puisque c'est avec elle et avec Viviane que j'ai le meilleur contact.
Je peux donc t'envoyer les lettres échangées car elles répondraient à la plupart des questions que tu pourrais te poser et me poser.
Je répondrai à tes questions c'est promis... Amitié. François.
2019/09/28 DE LB
Ça me fait plaisir de te lire!
Je suis content de ta promesse car j’ai beaucoup à te demander.
Je te pose une question dès demain.
Amicalement, Loïc
PS Il n’y a peut-être pas aujourd’hui beaucoup de raisons de se réjouir effectivement, mais ce livre peut en être une.
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2019/09/30 A LB
Ma lettre à la responsable de Grasset-Jeunesse... te donnera une idée de la manière dont on a réceptionné le Les aventures d'Alice aux pays des merveilles illustré par Nicole Claveloux lorsqu'il a été publié en 1974 à Grasset-Jeunesse.
La mort de Jacques Chirac me remet dans cette ambiance-là.
L'année 74 fut pour moi une année terrible.
C'est avec son arrivée au pouvoir, à la mort de Pompidou qu'on a commencé à me dégommer. Pas de son fait mais du clan Giscard, de sa fille qui voulait que je publie son livre sur les inventions, de son mec Bernard Fixot qui était chef de vente chez Hachette...que j'ai envoyé bouler... Et du baron Fasquelle qui pouvait se venger puisque je lui avais été imposé par Pompidou, Chaban-Delmas et Jacques Delors Jacques Duhamel et Simon Nora.
J'ai préparé des extraits de toutes les lettres que j'ai écrites dernièrement dans lesquelles je traite des sujets qui me semblent devoir concerner ton livre. C'est un peu long certainement mais tu ne prendras que ce qui t'intéresse et tu balanceras le reste.
Téléphone-moi si tu penses que c'est indispensable.
A toi. FRV
2019/09/04 A VALERIA VANGUELOV
Chère Valéria,
Votre envoi a été reçu avec un plaisir immense et, en quelque sorte, comme une réparation aux désapprobations que m’avaient infligées le baron Fasquelle et son associée, Madame Pierrette Rosset celle que j'appelais Mme bons-offices, qui lui servait de dame de bons conseils en prétendant, après mon départ de Grasset, – Afin d’être en mesure de rééditer les Quatre contes pour enfants de moins de trois ans d’Eugène Ionesco que Grasset ne pouvait rééditer puisque l’auteur faisait partie de l’écurie Gallimard –, « qu’on allait, enfin, pouvoir faire de vrais livres pour enfants ! ».
L’édition de cette version d’Alice…premier tome de Lewis Carroll a son histoire. Une belle histoire faite, de ma part, de volonté, de pugnacité et d’opiniâtreté, en raison de convictions littéraires d’abord, de connaissances pédagogiques ensuite et de goûts et de choix artistiques pour tout dire, qui m’animaient et, conjointement, avec les mêmes forces mobilisatrices, de l’adhésion enthousiaste de l’artiste Nicole Claveloux aux projets que je lui soumettais.
En vérité, relevant de l’ordre silencieux des épousailles consenties sans explications, j’aurais voulu associer Nicole Claveloux à tous les livres que j’avais décidé de publier et être un serviteur de son talent.
Je dis opiniâtreté parce que le premier obstacle après avoir eu l’idée de publier une version d'Alice illustrée à la française, en connaissance de cause puisque je savais que les Anglais nous déniaient les capacités d’avoir le sens de l’humour et de comprendre le leur, vint de mon associé même, Sieur Harlin Quist qui refusait de reconnaître, comme il l’avait déjà fait pour le premier livre dont j’étais l’auteur, que j’avais confié à Nicole Claveloux Le voyage extravagant, le talent nécessaire à ce chef d’œuvre international de Lewis Carroll, en clamant que son travail était «un-professional»...
Jugement qu’il perpètrera encore lorsqu’il s’agira de publier le Conte N°4 d’Eugène Ionesco, en allant jusqu’à prétendre que Nicole Claveloux se faisait du tort à elle-même et que je contribuerais de nuire à sa carrière si je publiais ce conte avec ces illustrations-là.
Ce refus récurrent de reconnaître son talent valait d’ailleurs tout aussi bien pour tous les illustrateurs français que j’avais recrutés : Jacqueline Duhême, Patrice Couratin, Henri Galeron et Alain Gauthier. Un avis défavorable qu’il appliquait, par chauvinisme de Yankee, à tous les illustrateurs français d’une manière catégorique et systématique puisqu’il les trouvait toujours, en les comparant aux illustrateurs américains qu’il surévaluait : “dérivatifs, weaks, self-conscious …etc ”.
Des appréciations désapprobatrices que le jury du New York Times, dans lequel figurait Maurice Sendak, contre l’avis de Citizen Q, méprisa et ignora totalement, en donnant en 1968 à notre premier livre, ce voyage extravagant, et plus particulièrement aux illustrations de Nicole Claveloux, le premier prix des dix meilleurs livres illustrés de l’année.
Une distinction à double portée, qui consacrait et encourageait d’une part mes initiatives d’édition tout en saluant d’autre part et en lançant sur le plan international, brillamment pour ce qui était de son investissement en littérature pour la jeunesse, la carrière de Nicole Claveloux... Dire que je lui dois beaucoup et que je lui en suis reconnaissant est un euphémisme.
Ceci étant posé, une fois le projet bien établi entre Nicole et moi pour l’édition de cet album sur Alice, elle se mit au travail, avalée par l’ampleur de la tâche et la concentration qu’elle impliquait... Ses premières recherches se firent selon une technique qu’elle n’avait pas encore abordée en matière de livres pour la jeunesse : la peinture. Les premières esquisses d’Alice furent exécutées à l’huile.
De mon côté, cherchant la meilleure traduction française déjà sur le marché, je recensais et faisais mon tri. Après en avoir parcouru plusieurs dont celle d’Henri Bué avec les illustrations magnifiques de John Tenniel… d’Henriette Rouillard chez Delagrave… de Jacques Papy publiée par Jean-Jacques Pauvert ou celle d’André Bay dont j’avais largement utilisé, lorsque j’étais instituteur son Nouveau recueil de poésies à lire et à dire pour les enfants, celle finalement d’Henri Parisot publiée par Flammarion.
André Bay qui l’avait appris me harcela, dénigrant avec insistance, pour réussir à me convaincre d’utiliser sa traduction, la version de son confrère…
A lire ces différentes traductions afin, en connaissance de causes, de bien choisir celle que je retiendrais, j’avais pu prendre conscience des subtiles nuances qu’employaient les traducteurs pour favoriser et faciliter aux enfants français la compréhension de l’humour anglais et, ce faisant, je m’étais aperçu aussi des pièges-ornières dans lesquels ces tendances d’adaptations de langages littéraires, afin d’être compréhensibles, tombaient toutes lamentablement et irrévocablement... J’estimai que la notion de littérature elle-même dans son essence, était de cette sorte dénaturée et je m’insurgeai !...
Je ne faisais en somme que manifester tout simplement ma décision de ne pas me laisser prendre dans ces pièges-ornières des manipulations d'intervenants qui usaient de pédagogie d'assimilation, pour faire passer la pilule, au détriment des pédagogies actives…
Aussi ai-je lu depuis, en son temps, avec grand plaisir, ce que Laurent Bury, le dernier traducteur en date de Lewis Carroll, disait à propos de sa traduction d’Alice, en citant l’impérieuse nécessité "de l'acclimatation du texte dans notre pays".
Mais de l’Acclimatation à quoi, à qui ?...
Pour le cas, autant qu’il m’en souvienne, en remettant les choses dans les contextes psychosociaux de cette époque du début des années 70 – au moment de la création de Grasset Jeunesse où j’affirmais, moi, pour jeter un pavé dans la mare, qu’il n’ y avait pas de littérature pour enfants – le constat que je dressais alors était plutôt et surtout navrant. Il existait et j'avais à m'y soumettre où à m'y opposer, une pseudo-littérature pour la jeunesse, ersatz de la littérature pour adultes, qui était le résultat d’une double adaptation littéraire et syntaxique, aussi bien sur fond que pour la forme, préventivement bien intentionnée mais qui me paraissait être, sur le plan pédagogique, cause de dérives dommageables pour les enfants.
La première de ces adaptations bien intentionnées étant négociée par les éditeurs, en tenant compte des avis de prescriptions des institutions de culture et d'éducation, en fonction d’une notion a priori et préjugée d'un stéréotype de petit Français moyen –sans nuances et quel que soit son âge, son milieu social et ses facultés et capacités intellectuelles –, en invoquant l'excuse de son inadaptation, prétendument congénitale, à l’esprit et à l’humour anglais...
Critiques négatives qu’on avait déjà porté et dont on m'avait déjà servi comme une condamnation, venant aussi bien de Raoul Dubois que de Françoise Dolto ou bien des dames de Bayard Presse, lors de ma publication des Quatre contes pour enfants de moins de trois ans d’Eugène Ionesco puisqu’on prétendait que l’humour était une insolence et que j’encourageais les enfants à l’indiscipline …
La seconde de ces adaptations, compatissante mais de compromission et commisération paupériste, évaluée en fonction d’un âge moyen des enfants en se référant à celui des classes plutôt défavorisées, comme si, passés à la toise, ils étaient tous estimés, quels que soient leurs milieux sociaux-culturels d'origine, aussi pareillement jugés défavorablement, selon le même niveau dévalorisateur et les mêmes critères uniformes d’immaturité intellectuelle …
J’avais déjà eu, lors de la publication de ma traduction du merveilleux livre d’Edward Lear L’histoire des quatre petits enfants qui firent le tour du monde, illustré par Stanley Mack à affronter ce problème et à me battre contre les conceptions maternalistes de Simone Lamblin, directrice en chef des bibliothèques de France, elle-même traductrice de ce même livre.
S’opposant à ma traduction qu’elle jugeait illisible par des enfants en raison du fait que, selon elle, cette traduction était trop fidèlement déduite de l’écriture originale et singulière de l’auteur – donc non-adaptée pour enfants – elle prétendait, avec force, pour valoriser son triple statut de bibliothécaire, de mère de quatre enfants et de traductrice, qu’elle savait mieux que personne ce que les enfants aimaient et pouvaient appréhender…
Tous ces arguments étant invoqués, bien entendu, afin de discréditer ma traduction qui respectait la longueur des phrases d’Edward Lear au bout desquelles souvent un mot erroné ou à double sens (voire “nonsense”) ponctuait la lancée effrénée de son élan d’écriture – élan néanmoins magistralement bien contrôlé, menant l’auteur, en bout de ses très longues phrases, à des conclusions inopinées mais comiquement savoureuses –, que les enfants ne pouvaient pas avoir – en généralisant encore –, les capacités intellectuelles adéquates pour soutenir la lecture de « pareilles phrases d'une telle longueur et aussi savamment compliquées…»
Isabelle Nières-Chevrel dit très bien, mieux que moi, dans son article Retraduire un classique : Dépoussiérer Alice? Ecrit pour analyser et rendre compte de la traduction de la version d' Alice d’Anne Herbauts et de sa sœur Isabelle, publiée chez Casterman en 2002 à l'intention des enfants :
«Du même coup, il n'est pas rare de rencontrer des traductions initialement destinées à un lectorat adulte qui sont reprises telles quelles dans des éditions pour la jeunesse, sans que les éditeurs semblent s'être interrogés sur la convenance de cette traduction à leurs jeunes lecteurs. On pourrait avancer que la question ne devrait pas se poser et que si un texte a été initialement écrit pour la jeunesse dans sa culture d'origine, le traducteur aura recréé une lisibilité équivalente dans la culture d'arrivée. Mais nous savons qu'il n'en est rien. Toutes les traductions de ces classiques témoignent d'une double tension entre passé et présent, entre compétences d'adulte et compétences d'enfant.
…jusqu'à quel point y a-t-il nécessité à distinguer aujourd'hui entre lectorat adulte et lectorat enfantin, à traduire différemment Alice au pays des merveilles selon que l'édition est destinée à des lecteurs adultes ou à de jeunes lecteurs ?
Cette image se double à partir des années 1970 d'une appropriation universitaire, suscitée par l'importance des interrogations linguistiques et logiques que les intellectuels commencent à entrevoir dans l'œuvre. On peut citer Logique du sens de Gilles Deleuze en 1969, la thèse de Jean Gattégno en 1970, un numéro des Cahiers de L'Herne...»
Pour ma part, en 1971, je croyais alors, après avoir opté définitivement pour la traduction d’Henri Parisot, naïf de nature, peu sûr de moi mais résolument déterminé, que le projet suivrait enfin son cours sans autres embuches. Mais je me trompais. Car très peu de temps après, le traducteur lui-même, n’appréciant pas Nicole Claveloux, tentait de me faire changer d’avis, allant jusqu’à s’opposer, alors qu’Henri Flammarion m’avait accordé son autorisation, à mon utilisation de sa traduction, si je ne me pliais pas à son choix de l’illustrateur…
Je compris alors qu’il souhaitait refaire une nouvelle édition de celle qui avait été publiée en 1966, avec des illustrations du peintre Max Ernst dans la collection l’âge d’or de Flammarion, parce qu’il trouvait que, pour des raisons de restrictions budgétaires, cette édition avait été ratée par le manque de foi d’Henri Flammarion et qu’elle ne lui paraissait pas satisfaisante. Il me parla alors de Salvador Dali et de ses illustrations monumentales d’Alice… publiées en 1969, en prétextant que je devais relever le défi en utilisant un autre peintre, aussi célèbre que lui, et que Marx Ernst était celui-là…
Je refusais d’entrer dans son jeu. Le projet me paraissait prétentieux. Il s’agissait pour moi de rester à ma place… et je maintins mon choix de conserver ma fidélité à Nicole Claveloux, quelle que soit la fragilité des finances dont je disposais, au moment même où Harlin Quist, qui avait ouvert un compte à numéro en Suisse, détournait l’argent qui revenait de la vente des livres français aux éditeurs allemands, suédois, danois, néerlandais et italiens… afin de ruiner la Sarl Française et de me vider ainsi du poste de PDG, actionnaire majoritaire, que j'occupais, pour s’en accaparer puisqu'elle portait son nom…
Raison qui fit que ce n’est qu’en mai 73, au moment de la création de Grasset Jeunesse que je pus considérer que le projet de cette édition d’Alice – mais comme le vingtaine d'autres livres dont j'étais l'initiateur, que j'avais compté publier dans la Sarl française, parmi lesquels : Les feuilles mortes d'un bel été de Françoise Mallet-Joris,
Histoire de Prince Pipo de Pierre Gripari, Au fil des jours s'en vont les jours, de Danièle Bour, Un hivers dans la vie de Gros Ours de Jean-Claude Brisville, ou mon adaptation du Petit Poucet et Le carré est carré et le rond et rond de France de Ranchin…–, était solidement arrimé et qu’il put commencer pour Nicole Claveloux, à se mettre en œuvre concrètement, alors qu’elle avait eu de quoi être largement timorée et à juste titre, comme Bernard Bonhomme son ami et maquettiste pour l’heure, par la violence de ma rupture d'association avec Harlin Quist.
Quand le livre fut publié, il me parut à moi-même d’un classicisme raisonnable mais je n’eus pas l’impression pour autant qu’il fut bien accueilli.
Je n’ai pas souvenir de bonnes critiques ni de prix ou de distinctions.
La vérité étant, plutôt, certainement même, que je ne m’en souciais pas. Passé les avanies, son existence me suffisait...
En 1981, après l’arrivée des socialistes aux pouvoirs, soit plus de cinq ans après la publication, Christian Bruel me rapporta que Jean Gattegno, qui se prétendait spécialiste de Lewis Carroll, chargé par Jacques Lang, de la Direction du livre, avec Geneviève Patte pour adjointe – celle qui avait toujours haï mes options, ma démarche et les livres que je publiais – prétendit que cette version de Nicole Claveloux était lamentable. Qu’elle était même la plus mauvaise version d’Alice qui existait… tandis que Jacque Lang, pour jouer au populiste et s’accorder les voix des majorités, tirant sa gloire d’un paupérisme compatissant, et “commiséreux” prétendait du même coup que les livres que je publiais étaient élitistes…
Ces discrédits n’étaient pas nouveaux. Ils étaient généralisés et généralisateurs. Ils m’ont été attribués et m’ont poursuivi longtemps, tout le temps de ma carrière pleine de 1965 à 1985, puis de 2000 à 2003 et tend à se perpétuer et à se pérenniser puisque quelques-uns des livres que j’ai publiés vont figurer dans l’Exposition qui se prépare à la BNF : Ne les laissez pas lire… comme des témoignages à ne pas mettre en tre les mains des enfants... Ceux de Nicole Claveloux entre autres, par l’entremise de la doctoresse Dolto et de son anathème sacralisée de décembre 1972, figurant en bonne place...
Notamment, à cause des illustrations, celles se rapportant au livre d’un autre écrivain anglais de taille internationale, Richard Hughes, surnommé le Dostoïevski anglosaxon : Gertrude et la sirène et l'album d'actualité Les Télémorphoses d’Alala de Guy Monréal…
Il semblerait que, nationalement, institutionnellement, Cécile Boulaire prenant la suite de Geneviève Patte – Ah ! comme les femmes sont frivolement injustes alors que, par ailleurs, elles m’ont tant épaulé, aidé, stimulé, encouragé et que n’aurais rien fait de bon, sans elles!... Où êtes-vous belles dames du temps jadis ?... Monique Maillot, Françoise Mallet-Joris, Edmonde Charles-Roux, Christine de Rivoire, Marie Cardinal, Christiane Rochefort, Nicole Claveloux, Mila Boutan, France de Ranchin, Joelle Boucher… –, de manière institutionnelle et caractérisée, on ne veuille pas, par orgueil et calcul meurtrier, ou simplement par bêtise et ignorance de ces arts d’expression que sont la littérature et l'illustration de type graphique, ne se souvenir de moi qu’en discréditant quelques livres que j’ai publiés afin de mieux passer sous silence, catégoriquement et radicalement, les autres livres, ceux qui pourraient être, tant soit peu, dignes d’être sauvés de l’oubli…
Tout ce que je vous dis là, chère Valéria, vérités d’un temps révolu, ne vous est rappelé que pour mieux saluer les mérites de cette édition de De l’autre côté du miroir que vous m’avez adressée et vous faire part des compliments que je fais à Grasset, à Olivier Nora certainement, et à vous plus particulièrement, d’avoir mené à bien jusqu’à et comme une fin de voyage, celui que j’avais commencé d’entreprendre, contre vents et marées, en 1971, dans l’intention de parvenir, si Dieu me prêtait vie (comme on dit en langage commun), jusqu’à ce De l’autre côté du miroir.
Il se trouve que, coïncidence non fortuite, mais comme il m’arrive de plus en plus souvent de l’imaginer, j’ai atteint l’âge maintenant d’envisager mon passage dans un autre monde, l'envers dit-on de celui-ci, et que je me complais à penser qu’il pourrait ressembler à celui décrit par Lewiss Carroll que ma chère, très chère Nicole Claveloux a su si bien recréer, si justement, si intelligemment, si esthétiquement.
J’avoue qu’à contempler ces belles images et à lire le texte, l’envie, encouragée par l’émotion, me prendrait presque de suivre, comme le suggère Hoffman dans un de ses contes, le chemin vers ce miroir sans tain dont il parle et d’abandonner ainsi, dans cet autre miroir, mais sans que Giuletta, la séductrice, ne me séduise et ne m’y entraine, mon reflet et mon ombre, afin de m’acheminer pour disparaître, sans sauter le pas toutefois, paisiblement, sereinement, vers l’envers du monde où nous finissons tous.
Je suis sûr que j’arborerais alors un certain sourire !... Non ! pas celui de Sagan !... Non ! Vraiment pas celui de Sagan, bien que nous créchions au même endroit maintenant, dans cette médiathèque, ancienne prison des femmes, gérée par Viviane Ezratty et Hélène Valotteau, mais avec plutôt, un long et lent sourire énigmatique, celui d’un chat par exemple… chat des rues ou de gouttières peut-être !… Ou, mieux encore, si c’était possible, avec ce beau et superbe sourire inoubliable du chat d’Alice, ce chat du Cheshire de John Téniel, bien sûr !
Avec encore mes remerciements et mon émotion.
François Ruy-Vidal
2019/ 10/11 A LB
... Car ton silence m'inquiète...Alors que j'essaie de retrouver dans les correspondances que j'ai entretenu ces derniers temps avec Viviane, Hélène ou Cécile, les parties précises où je me suis étendu sur la lecture des textes ou des images (qui sont deux pratiques différentes) ou à propos de l'expo “Ne les laissez pas lire” ou bien sur les livres que j'ai publiés et dont les thèmes ou les images ont été perçus comme dangereux... Ci-joint une des lettres adressées à Hélène...
Je ne sais plus rien de toi et me demande si je fais bien de continuer à relire ce que j'ai écrit pour t'informer... Alors que je suis obnubilé par le retard que j'ai pour la publication du livre en cours “Vert de peur était le petit-poisson téméraire” dont Serge Cécarrelli a commencé à réaliser les illustrations en 2003.
Rassure-moi. Dis-moi si je dois continuer à essayer de t'informer.
Nonobstant, quel que soit l'intérêt que tu lui accorderas, je t'envoie copie de cette lettre à Hélène Valotteau car elle donne bien l'idée du décalage qui existe entre ce que les éditeurs peuvent, grâce aux auteurs et aux illustrateurs, imaginer et souhaiter produire et voir arriver entre les mains des enfants et tous les obstacles qu'inventent les bibliothécaires, les enseignants et les différents pédopsychiatres responsables des institutions de prescription-proscription des livres pour la jeunesse, en accord avec les grands groupes traditionnels d'édition qui ont la priorité dans la diffusion, pour ne pas que la recette unique et conventionnelle des productions de masse soit remise en question.
Avec mes amicales salutation. FRV
Ci-jointe ma lettre à Hélène Valotteau
2019 04 26 A HELENE VALOTTEAU :
DES DIVERSES RAISONS POUR LESQUELLES
JE PENSE N’AVOIR RIEN A FAIRE AVEC
L’EXPOSITION DE LA BNF NE LES LAISSEZ PAS LIRE.
Chère Hélène,
En complément de la réponse rapide que je vous ai faite dernièrement, voici des réflexions d’appoint qui me sont venues à l’esprit depuis et qui pourront vous aider, éventuellement, à répondre à ma place…puisque, comme je vous l’ai déjà dit, je ne tiens pas, absolument pas, à établir la moindre relation avec un quelconque représentant de la BNF ou des deux autres organismes affiliés à ce que j’appelle “la congrégation nationale des prescriptions pour la jeunesse”.
Ceci pour des raisons que vous ne pouvez pas avoir connues et, peut-être ne pas comprendre ou approuver, mais qui sont définitives : ces trois organismes se sont comportés avec les livres que j’ai publiés comme s’ils étaient ceux d’un pestiféré, cet individu que Françoise Dolto jugeait dangereux et accusait de nostalgie de prégénitalité… Non seulement ils m’ont ignoré pendant près de cinquante ans maintenant, et écarté de tous les débats qu’ils ont organisés et où j’aurais pu apporter, pour défendre mon option éditoriale, les arguments de ma différence, mais ont toujours choisi de dénigrer et de discréditer, dans mon dos, les livres que je publiais et qui résultaient de cette différence.
Et ce, même quand j’ai été, pendant trois ans, aux responsabilités de Grasset-Jeunesse, mis en place par Jacques Duhamel, ministre de la Culture de Georges Pompidou, et de son épouse Colette Duhamel, puis de Simon Nora adjoint-conseiller aussi du Président Georges Pompidou, directeur de l’empire Hachette.
En l’occurrence, je ne veux donc pas, résolument pas, me sentir concerné, du moins directement, par l’exposition Ne les laissez pas lire qu’organise la BNF puisque, dès le titre qui a été choisi, je vois la référence qui est faite au livre laissez les lire de Geneviève Patte et perçois, dans la juxtaposition pernicieuse et bien calculée des deux titres, l’honneur qu’on veut lui témoigner pour sacraliser son action et recommencer à discréditer la mienne.
Bref, je suspecte que, par juxtaposition et comparaison, la BNF va, encore une fois, me présenter aux jeunes générations comme un indésirable incompétent, peu soucieux des capacités et des intérêts des enfants, dont les livres qu’il a produits sont à proscrire parce que dangereux.
De plus, facteur aggravant, l’intitulé Ne les laissez pas lire me rappelle les articles d’interdiction fulminants de Marie-Claude Moncheaux Écrits pour nuire et les émissions haineuses qu’elle distillait sur Radio Courtoisie.
Je dis bien que je ne veux pas être directement concerné, impliqué directement, puisque, par la force des choses, que je le consente ou pas, n’importe qui peut avoir accès aux archives que j’ai déposées et se servir de ces pièces à convictions, dont les livres publiés, comme bon lui semble et sans mon avis et sans que je puisse répartir. Chacun les interprétant à sa manière.
Avec le même acharnement qu’utilisèrent, de mon temps, certains militants-tes, et que ne manqueront pas de reconduire aujourd’hui les fils et filles de ces acharnés-nées d’autrefois, en continuant de dire, comme Françoise Marette-Dolto l’affirmait : qu’ils sont dangereux et qu’il ne faut pas que les enfants les lisent…
De même, et encore plus vigoureusement, pour l’exposition de Tours, ville où Mme Boulaire-Binaire règne en reine des abeilles –reine des guêpes lui irait mieux !– puisque ne me viennent en tête, lorsque le nom de cette dame me parvient, que les nombreux discrédits qu’elle n’a cessé de divulguer, en boucle et en plusieurs occasions, sur les livres que j’ai publiés. Du type « illustrations saturées…» et autres affirmations sectaires, abusives et généralisantes, décrétées sans nuances, selon le parti pris négationniste qui la caractérise …
Ce qui, en conclusion, me fait dire que n’ayant aucune raison d’espérer que, dans ces fiefs-là, de Paris et de Tours, l’on puisse jamais nuancer, relativiser, remettre en cause ou abandonner le point de vue dévalorisant et définitivement cristallisé qui a été émis, et répercuté depuis, sur les livres que j’ai publiés, je préfère, compte tenu de mon état de santé – voulant “mourir en paix” comme je ne cesse de le répéter depuis ce début d’année 2019 –, économiser au maximum mes forces pour terminer sereinement ce que j’ai entrepris et, au calme, aussi insensiblement qu’il se peut, passer de l’autre côté de la vie…
Ce qui m’induit à dire qu’à supposer qu’on sollicite mes réflexions, en prétendant, ce dont je doute, qu’elles seraient indispensables au montage de ces 2 expositions que vous citez et d’une troisième sur Grenoble Les enfants du désordre – avec un titre pompé sur un film de Yannick Bellon que je connais bien –, dans laquelle est impliqué Loïc Boyer … je souhaite que vous, Hélène, répondiez que je ne suis plus en état de faire le moindre effort pour témoigner et me justifier, ni pour remettre les livres que j’ai publiés dans les contextes de l’époque.
Par contre, pour ne pas être trop radical et si ma santé me le permet, je me contenterai, éventuellement et brièvement, de répondre, du mieux que je pourrais aux questions que vous, ou Viviane, ou Loïc, me poseriez sur le lot d’archives que j’ai déposées ou bien sur les contextes religieux, politiques et pédagogiques qui m’ont inspiré et ont été, pour une grande partie, les instigateurs des livres qui portent ma signature.
Ce qui m’induit de fait à dire que si des communications sont nécessaires à propos des livres que j’ai publiés, elles ne s’établiront désormais que par retransmission de tiers.
J’entends par tiers : vos voix, celle de Viviane au premier chef, puis la vôtre Hélène, en accord avec Viviane, et celle de Loïc Boyer.
Et aussi, bien entendu, si elle est sollicitée, par la voix de Cécile Vergez-Sans… mais avec quelques réserves, puisque j’ai fini par déduire, après 4 années de relation épistolaire avec elle et avoir lu sa thèse, que, quel que soit son mérite, nous ne sommes pas en phase, n’avons pas les mêmes conceptions sur la littérature pour la jeunesse, ne partageons pas les mêmes critères d’analyses… et, en somme, que je trouve que son travail d’analyste reflète exactement cette neutralité – sans politique, sans religion, sans pédagogie – que j’ai toujours récusée puisqu’elle est le fondement de la désapprobation que j’ai sans cesse manifestée contre l’option d’édition d’endoctrinement que pratique, à tour de bras et au mépris de ce qu’est vraiment la littérature, l’édition pour la jeunesse traditionnelle française.
Je me dois, en conscience, de rappeler que c’est bien en m’insurgeant contre cette option d’endoctrinement que j’ai forgé mon option d’édition, celle bien définie de : “littérature pour la jeunesse produite par des écrivains et illustrée par des artistes”.
Ce qui, plus simplement dit, signifie que je suis convaincu que Cécile Vergez-Sans, pour rester dans le droit fil des article publiés dans la revue Strenae et des paramètres déontologiques nihilistes qui sont imposés à ceux et celles qui écrivent des thèses sur ce sujet des productions pour la jeunesse, n’a pas voulu – ce qui est son droit !– ou n’est pas moralement et psychiquement en mesure de considérer, sous le même angle que moi, avec le même prisme, comme je les ai conçus et définis, les livres que j’ai publiés.
Face au nihilisme – areligieux, apolitique et apédagogique – qu’a imposé, et qu’impose encore, la déontologie judéo-chrétienne qui règle la réception des productions pour la jeunesse, j’ai toujours éprouvé, par réaction instinctive naturelle, le besoin de me rebeller, en adoptant des principes un brin extrémistes que j’estimais salutaires et en proclamant que tout, en matière de livres pour la jeunesse, était au contraire affaire de religion, de politique et de pédagogie puisqu’il s’agit d’instruire et d’éduquer, donc de former, y compris par le divertissement, les consciences des jeunes esprits, afin que par la réflexion, mieux que par l’obéissance inconditionnelle, ils soient en mesure, en connaissance de causes, d’adhérer et de consolider, lorsqu’ils seront citoyens, notre société démocratique.
Je dis en cela, par honnêteté, ce qui furent et sont encore, mon choix et ma préférence, mais sans vouloir pour autant faire de peine ou nuire à Cécile Vergez-Sans, puisque c’est elle vraisemblablement qui connaît le mieux mon dossier. Je lui trouve même des excuses et reconnais son droit. Chacun de nous étant positivement et restrictivement conditionné, motivé et défini par ses convictions, ses avis et par ses choix. Ce qui constitue en somme nos propres limites !
Mais ce serait en quelque sorte me renier si je consentais, sans rien dire, à ce qu’on la considère toujours et exclusivement, en toutes occasions, comme seule accréditée à défendre les archives que j’ai déposées à la médiathèque Sagan.
Je ne lui interdis pas de parler de ce qu’elle a découvert dans mes archives mais je ne veux pas que Cécile Vergez-Sans soit perçue comme mon porte-parole.
Ce qui risquerait d’ailleurs de lui porter tort.
Par ailleurs, d’une façon plus générale, en vue de contribuer quand même et toujours indirectement aux différentes opportunités d’activités qui ne manqueront pas de se présenter dans les temps qui vont suivre, je pense, chère Hélène, que le meilleur moyen d’être utile à tous les autres chercheurs-ses, jeunes novices, des générations nouvelles qui pourraient avoir inscrit dans leur cursus, en vue de se documenter, d’aller tout naturellement vers ces lieux de conservation que sont cette congrégation troïka regroupant la BNF, le CLNJ et la Joieparleslivres, et qui n’ont aucune raison de soupçonner l’obscurantisme et la censure qu’elle a toujours pratiqué sur mes options d’édition et sur les livres que j’ai publiés – sinon uniquement pour les sanctionner et les marginaliser –, de les avertir et de les mettre en garde.
La meilleure manière de les prévenir étant de les inciter à ne pas se contenter des seuls avis officiels fournis par ces trois organismes et de s’informer plutôt du passé, en l’éclairant des contextes politico-psycho-sociaux qui se sont succédés dans le temps, afin de pouvoir se faire, par comparaison objective, un point de vue personnel sur ce qu’a été et que peut être la littérature pour la jeunesse. Et, dans ce genre-là, ce qu’ont été les options d’édition que j’ai adoptées et soutenues. En particulier celles pédagogiques et littéraires qui m’ont animé et motivé.
Et je ne vois pas d’autre moyen pour les aider à élargir leur enquête que de les renvoyer aux plus de 50 articles que j’ai écrits sur ce sujet et qui sont à leur disposition sur mon blog : “ruyvidal.blog4forever.com”.
Blog qui en est à son près de 490 000 ème visiteurs et peut s’honorer, chaque mois, de plus d’une cinquantaine de visites.
Je suis d’ailleurs actuellement occupé à remettre sur ce blog des articles que j’avais écrits au moment où Monique Hennequin et Janine Despinette, directrices du CRILJ Paris et du CIELJ Charleville-Mézières – un moment d’une époque que Viviane Erzatty connaît bien puisqu’elle faisait partie comme moi du conseil d’administration du CRILJ – refusant de considérer ma proposition d’inviter des auteurs black et Beurs français (publiés par des éditeurs français) à faire partie du conseil d’administration de leurs deux organismes, m’ont proprement et carrément limogé des organismes qu’elles dirigeaient.
Preuve pour moi qui, s’ajoutant à plusieurs autres, attestaient de cette collusion institutionnelle nationaliste qui, au nom d’un préventionisme et protectionnisme extrémistes catholique rétrograde des enfants, régnait encore au début de ce 21ème siècle dans la plupart des associations de soutien et d’encouragement à la lecture de la jeunesse.
Collusion dont les relents me ramenaient à ce que j’avais vécu en Algérie, de 1935 à 1962, soit le tiers de ma vie, du temps des heures triomphantes de l’ostracisme ségrégationniste qu’imposait le colonialisme français en privant les Indigènes de leurs droits civiques…
Je n’exprime en cela que mon intime conviction. Une conviction issue en droite ligne de mon vécu et de mon expérience et que ne peuvent certainement pas partager ni comprendre, je l’admets volontiers, ceux et celles qui n’ont pas souffert de ces maux de notre civilisation.
Comme j’ai pu le vérifier à mon arrivée à Paris, la majeure partie des Français de la métropole, n’avait pas l’impression qu’ils étaient, des représentants – passivement et inconsciemment la plupart du temps bien entendu !– de ce colonialisme pourtant ouvertement pratiqué en Algérie française.
Cependant et néanmoins, alors qu’en regagnant la Métropole je croyais pour ma part être enfin libéré de cette insurrection sourde qui avait miné ma jeunesse, je fus bien contraint de constater que la majorité des organismes qui se préoccupaient de productions pour la jeunesse dans notre pays étaient suprématistes et colonialistes sans l’avouer ou sans en avoir conscience. Beaucoup de personnes en tout cas – faisant partie, je le répète, des organismes s’occupant d’enfants – partageaient largement avec Jean-Marie Le Pen, la conviction que les enfants Noirs et Beurs et, par extension, les enfants de la classe défavorisée, n’étaient pas dotés, ne bénéficiaient pas, génétiquement, des mêmes facultés d’intelligence que les exemplaires de souches blanches.
On prétextait de la pauvreté et de l’ignorance, des différences de goûts, des handicaps dus au manque de moyens ou même de la différence de culture…etc, toutes données de la fatalité qui, certes, entraient bien en compte dans et pour toute éducation, mais pas au point d’autoriser les personnes responsables des présentations de livres aux enfants à ne faire aucun effort pour tenter de corriger cet état de faits.
Accepter cet état de fait est une condamnation lourde de conséquences.
Il m’a toujours semblé au contraire que le rôle des institutions nationales étaient d’œuvrer pour que les choses changent et s’améliorent et, dans ce cas précis des enfants mal lotis et délaissés, que ceux qui étaient “aptes à sortir du lot” soient aidés et encouragés au lieu d’être abandonnés à leur triste sort.
Je ne généralise pas pour autant puisque, à l’évidence, ces considérations de supériorité empreintes d’ostracisme désobligeant n’affectaient que le « vert paradis » des enfants et pas, ou bien moins, les productions littéraires pour adultes.
Est-ce que cela a changé ?...
Je me le demande et j’hésite à croire que l’état d’esprit des prescripteurs-trices d’aujourd’hui, en fonction de l’augmentation des pourcentages de fréquentation d’enfants d’immigrés dans nos écoles et nos bibliothèques – nés pourtant Français par droit du sol – , ait pu se remettre, ou être remis en question, au point de renoncer à ce suprématisme arrogant qui le caractérise et qui était invoqué, en permanence, sous le manteau, pour s’exonérer de toute tentative de changer et d’améliorer l’état de faits.
Ceci étant souligné, je ne vois pas pourquoi, pour ce qui est de ces expos qui se préparent, les prescripteurs-trices derniers nés-ées, en place et officiant actuellement, ou se préparant à officier dans les réseaux administratifs de cette troïka nationale, adopteraient d’autres critères et paramètres que ceux entérinés par leurs aînés-ées.
Et je ne pense pas que ces organismes puissent adopter magiquement, alors que la lecture de livres se voit détrônée par la numérisation et les écrans, d’autres prismes plus indulgents, plus tolérants, moins discriminants, afin de mieux estimer et de mieux évaluer les livres publiés à l’intention de la jeunesse qui n’entreraient pas dans les canons de la production nationale habituelle produite par les grands groupes français.
En bons héritiers des prescripteurs-trices de ma génération et des générations passées, je ne vois pas pourquoi, puisque les enseignements n’ont pas changé, ces jeunes prescripteurs-trices seraient parés d’optiques d’évaluation de plus d’acuité, leur permettant de réhabiliter ou de considérer autrement, par comparaison des contextes passés et présents, plus lucidement, moins théoriquement, ces livres, ceux que j’ai publiés en faisant partie, qui ont suscité des controverses et des polémiques, voire des interdictions, au moment de leur parution.
Par pessimisme, il me semble impossible d’imaginer qu’ils et elles puissent aujourd’hui, se libérer de ces restrictions-proscriptions qu’ont imposé comme sacerdotales et en règle d’or, ces trois organismes d’état qui constituent cette Congrégation nationale.
Ce qui signifie que, donnant-donnant, je me sens obligé d’être aussi péremptoire que ces restrictions-proscriptions et de décréter qu’elles ne sont pas en mesure de faire la part des choses, et de mieux considérer, ne serait-ce que par devoir et par souci d’information, tous les livres de cette époque nés de l’expression littéraire et artistique du moment – parmi lesquels ceux que j’ai publiés, de 1965 à 2003, figurent –, qui ont été suspectés d’engendrer des nuisances dans l’esprit des enfants.
Cette pénalisation générale de ces livres dits d’avant-garde, les miens et ceux publiés par d’autres jeunes maisons d’édition, a été manifeste et machiavéliquement entretenue et instrumentalisée pendant toute la durée où je fus en exercice. Ces livres étaient carrément à proscrire et à mettre au feu et certaines librairies catholiques, Privat à Toulouse par exemple, les considérant comme des objets de sorcellerie s’interdisaient de les vendre.
Comme me l’avouera un peu plus tard l’un des descendants de la famille Schlumberger, parent d’Anne Schlumberger-Doll qui avait offert à Geneviève Patte son premier poste de conservatrice à la Petite Bibliothèque ronde de Clamart, il s’agissait de m’abattre…
Si le prétexte invoqué était que je nuisais aux enfants, il masquait habilement le vrai tort, inavouable, qui m’était reproché : je compromettais et nuisais aux bénéfices que retiraient les grands groupes d’édition de leurs investissements dans cette seule catégorie de livres, caractéristiques de Littérature enfantine, formatés pour plaire à tout le monde…
Raisons majeures, indubitables, ancrées en moi, qui font que, de ces faits patents, je ne garde plus qu’un souvenir cuisant et un pessimisme fondamental qui m’interdit d’imaginer une quelconque possibilité de rémission, voire de réhabilitation, qui viendrait de ces trois institutions.
Cette pénalisation des livres que j’ai publiés, faut-il le rappeler, m’a conduit, après une dépression de deux années de 1986 à 1988, à baisser les bras, à démissionner, à m’élargir, par désespoir, de l’édition et de l’action culturelle que je m'étais pourtant promis de mener à vie... Et ce jusqu’en 2000... Puis, après cette date, de la même façon et pour les mêmes raisons, après un sursaut de témérité de ma part et un bref retour de trois ans à l’édition, de 2000 à 2003, d’en arriver aux mêmes conclusions et aux mêmes constats de déni et de déconsidération : l’ignorance hostile, le refus de considérer et l’omerta étaient toujours là, en force et systématiquement, contre les rééditions et les nouveaux titres que je publiais.
Considérations navrantes qui me permettent de déduire que, dans la continuité des années qui se sont écoulées depuis 1965, par la volonté de certaines personnes qui ont formé, et ont été formées, dans les cadres des institutions nationales de prescription-proscription de l’édition pour la jeunesse, s’est incrustée dans la transmission des mentalités, une appréciation globalisante négative sur les livres que j’ai publiés… Appréciation discréditrice qui, je le déplore, ne peut quasiment plus, maintenant qu’elle est installée dans le temps et dans les enseignements, être reconsidérée et remise en cause.
Ainsi en vont les choses : par répétition, refus de reconsidération et récidives ponctuelles, l’appréciation globalisante et le verdict-sanction qui me furent infligés il y a plus de quarante ans maintenant, ont été et sont entretenus et reportés de manière à ce qu’ils se perpétuent dans la conscience collective pour s’inscrire de façon pérenne dans le marbre du classicisme traditionnel de la littérature pour la jeunesse.
Malheureusement, marginalisé, je fus donc bien forcé, dans la solitude de cette mise au ban, d’admettre cette dépréciation globalisante et ce verdict-sanction et de déduire que ce jugement sévère faisait partie, puisqu’il émanait d’éminences représentant et constituant ces trois institutions nationales, de l’ordre des choses français en matière de littérature pour la jeunesse.
C’est-à-dire de cet ordre qui, selon mes observations, relevait du conformisme d’endoctrinement que cette congrégation nationale s’est toujours flattée de proclamer, de respecter et d’encourager, en ne plébiscitant, ne soutenant, ne se référant, exclusivement, qu’aux publications des grands groupes de production de masse.
Oubliant par-là que de Montaigne à Voltaire, puis à Hugo et à bon nombre d’écrivains modernes de notre temps, parmi lesquels se comptent quelques auteurs de mérite que j’ai publiés : Ionesco, Duras, Brisville, Hughes, Lear, Mallet-Joris,Tournier, Quignard, Joubert, Hodeir, Lascaux…l’esprit français, celui des lumières, a toujours revendiqué, au contraire de ces catéchismes de bien-pensance que cette congrégation se flattait de soutenir et d’imposer, d’être, d’aspirer à être, l’instigateur d’encouragements des auteurs et des artistes, aux pratiques des arts d’expression, à la liberté des idées, à la découverte et à l’invention de formes nouvelles, en favorisant ainsi, sur le plan international, le renom de nos mérites et de notre rayonnement français.
Ne pas savoir, ni vouloir, reconnaître, ni tenir compte, ni admettre, ni favoriser… les reconsidérations d’options éditoriales nouvelles et différentes qui peuvent, parce que nous sommes dans un pays de droits, s’inventer, se réinventer et s’exprimer en permanence, est pour moi un signe d’aberration mentale qui doit forcément, pour avoir été si opiniâtrement constant et récurrent à discréditer les livres que j’ai publiés, être entretenu et pérennisé comme un mot d’ordre qui caractérise et symbolise, comme un label peut le faire, ces établissements institutionnels de formation des responsables de la prescription dépendant des Ministères de la culture et de l’éducation nationale.
Établissements au nombre desquels figurent bien entendu l’ENSSIB.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que réaffirmer que les trois organismes d’information et de prescription qui font partie de cette congrégation n’ont plutôt fait, pour ce qui me concerne, que de la proscription envers les livres et projets de livres dont, avec d’autres jeunes éditeurs, j’étais porteur, alors que nos objectifs, conscients ou inconscients, étaient de participation à notre société avancée et n’avaient pour but que d’apporter notre contribution, selon nos convictions et les points de vues que nous avions acquis de vécu, afin de revitaliser et de rajeunir les productions pour la jeunesse.
Notre crime de lèse-majesté consistait à offrir des livres d’une autre qualité, plus singulièrement définis que ceux formatés pour uniformiser et apparaître, par le moyen de gros tirages, populaires. Gros tirages qui étaient l’apanage, alors que les miens, pour des raisons budgétaires, se limitaient à 1500 à 2000 exemplaires, des grands trusts éditoriaux qui détenaient en plus, pour mieux les imposer au public et les créditer de l’approbation de la majorité silencieuse, en plus des bibliothèques où ils avaient carte blanche, les 24 000 librairies non-indépendantes et plusieurs autres lieux de vente, tels bureaux de tabac et de presse, ou même de simples épiceries et étals de marché, affiliés à leur système de production-vente.
L’édition pour la jeunesse en France s’est caractérisée, pendant toute la durée de mon exercice, de 1965 à 1985 plus particulièrement, sous prétexte que notre jeunesse était sous-développée, à des productions de masse que je qualifiais pour ma part, moi qui étais issu de classe populaire, de soupe pour les cochons. Et ce jugement fut confirmé lorsqu’en regagnant Grasset, bastion d’Hachette, je pus avoir le sentiment, pendant quelques mois seulement, de mai 73 au 2 avril 74, mort de Georges Pompidou, d’avoir acquis un droit de cité.
Cette soupe aux cochons était pleinement justifiée par ceux et celles qui auraient pu dénoncer la commisération et le paupérisme qui l’inspirait et l’imposait mais n’en faisaient rien : Jacqueline Joubert en 1975, puis Geneviève Patte, Jean Gattegno et Jack Lang à partir de 1981...
Au contraire de cela ce sont les livres que je publiais qui suscitaient leurs réticences : ils étaient trop particuliers, trop difficiles, « bons seulement pour les fils de médecins », voire « contraire à la morale puisqu’ils donneraient aux enfants des goûts et des envies qu’ils ne pourraient pas satisfaire ensuite »…
Bref on leur estampillait allègrement une étiquette d’élitisme, sorte d’infamie qui dénonçait, d’une part, le peu d’espoir qu’on mettait dans l’éducation de tous les enfants par le livre et, d’autre part, la volonté, masquée par une commisération paupériste-misérabiliste de vouloir maintenir les enfants des classes défavorisées, tous les enfants sans exception, dans le jus de leur pauvreté considérée comme une fatalité. En les taxant tous, systématiquement et a priori, d’incapacité congénitale à pouvoir s’élever pour accéder aux postes de commandes et en les privant ainsi, automatiquement, pour se justifier, des moyens qu’on aurait pu mettre à leurs dispositions pour qu'ils s’instruisent.
J’ai commencé à dresser ce constat à partir de mon adolescence en 1945, date, pourtant, à partir de laquelle, pour toutes ces raisons dont notre pays avait souffert depuis 1939, s’était amorcée, soutenue par l’espoir de tous les Français, cette période enthousiaste de remise en cause de notre façon de vivre et de penser, appelée “reconstruction”. Période définie comme l’Après-guerre, au cours de laquelle j’ai soigneusement observé, poussé par ma curiosité littéraire d’abord puis pédagogique ensuite, aussi bien en Algérie où je fus instituteur pendant 10 années, qu’en France, après 1962 : la volonté déterminée, entêtée et assumée, de l’ensemble des dirigeants successifs qui ont participé progressivement à la cristallisation de cette congrégation – alors qu’elle n’était encore qu’en gestation en 1950, date de mon entrée dans la vie professionnelle–, déjà à l’œuvre, implicitement, avec la connivence tacite des Ministères de l’Éducation nationale et de la Culture, plus ou moins différemment associés, depuis 1945.
J’ai grandi dans cette espérance de remise en cause des fondations de notre culture et de notre système d’enseignement... Et j’ai successivement été consterné puis atterré, d’avoir à constater et de me résoudre à accepter, qu’au sein même des instances institutionnelles et culturelles qui auraient pu, au prétexte même de la loi de protection de 1949, intervenir pour accorder un regard de bienveillance – je ne parle ici que des productions pour la jeunesse car la presse pour adulte est plus libre et meilleur juge de ce qui se publie et de ce qui pourrait se publier – jamais personne, parmi les responsables pourtant soigneusement choisis et mis en place de pouvoirs dans ces institutions citées plus haut, ne manifestaient de considération, voire d’intérêt ou simplement de sollicitude, pour cette option de littérature pour la jeunesse que j’avais choisi d’encourager :
« littérature écrite par des écrivains
et non pas par des “écrivants” salariés,
illustrée par des artistes
et non pas par des tâcherons salariés
pratiquant de faux dessins d’enfants »
Je veux dire par là qu’à ne considérer que le titre de l’exposition prévu Ne les laissez pas lire qu’a choisi la BNF pour faire référence au livre de Geneviève Patte Laissez les lire, je ne peux faire autrement, réflexe conditionné, que de présumer que le parti pris qu’a soutenu avec pugnacité cette congrégation tripartite au fur et à mesure de sa cristallisation, n’a pas changé d’un pouce et que ce parti pris reste encore et toujours ancré sur les mêmes postulats désuets définissant la littérature pour la jeunesse comme un sous-genre, figé une fois pour toutes, dans les ornières d’un préventionnisme et d’un protectionnisme qui se définissent comme neutres, donc forcément et illusoirement laïques, c’est-à-dire expurgé de toute politique, religion et pédagogie…
Ce qui m’autorise à penser et à douter que cette congrégation puisse un jour s’avouer à elle-même ses propres torts en condescendant à renoncer de manière systématique comme elle le fait, sous prétexte de défendre l’économie nationale du livre, ces options éditoriales à destination des masses prolétaires, fabriquées à la pelle par les grands groupes français, avec le soutien, en sous-main, des grands groupes capitalistes internationaux.
C’est ce parti pris-là, serpent de mer, qui porte la responsabilité d’une confusion capitale, entretenue culturellement sans qu’ils en soient conscients dans l’esprit de la majorité des Français.
Une confusion qui, dans le respect et au nom des intérêts économiques des puissantes entreprises d’édition de masse, ne permet plus de pouvoir faire la distinction entre les intérêts d’éveil et d’ouverture d’esprit de nos enfants et de notre jeunesse, et les intérêts, purement financiers ceux-là, que dégage ce sous-genre de littérature exploité intensément et abusivement. Les chiffres parlent. L’édition pour la jeunesse, si on se réfère aux statistiques, est encore et toujours bénéficiaire de résultats florissants, alors que les chiffres, pour ce qui est de l’édition pour adultes, s’effondrent presque, en raison de l’avènement du numérique.
D’où découle, en droite ligne, cette occultation et cette omerta des journalistes français : si cette édition est si florissante et même si elle vide les esprits c’est, puisqu’elle remplit les caisses, qu’elle s’apparente à un enrichissement patrimonial et qu’elle fait partie de la ressource économique nationale… synonyme elle-même de notre bien commun et de richesse publique française… et qu’elle doit donc mériter, en conséquence, quelle que soit la qualité de ses services et les nuisances qu’elle occasionne, de l’approbation et du soutien de la majorité des Français.
En bref, je ne crois pas que quiconque appartenant à la BNF, Mr Séjourné y compris, ait le courage et puisse prendre le risque de dénier, de remettre en cause, de contester… l’exploitation de ces productions trop prosaïquement et injustement installées depuis ces années de la reconstruction. Des productions qui passent, puisque préventionnistes, protectionnistes et normalisantes, seules exclusivement susceptibles d’être soutenues spirituellement par notre majorité culturelle judéo-chrétienne et souvent subventionnées indirectement, au travers des budgets des bibliothèques, par les pouvoirs publics.
En foi de quoi, je reste persuadé que qui que ce soit qui oserait s’affranchir de cet encensement systématique, inconditionnel de “l’état des choses français” – en matière de littérature pour la jeunesse s’entend –, serait aussitôt considéré comme un déviant et élargi immédiatement de ses fonctions de représentation nationale.
En vertu de quoi, enfin, n’aurait droit au soutien de cette congrégation que ce seul type de littérature pour la jeunesse que je n’ai pas voulu servir : celle pourvoyeuses de catéchismes d’obéissance et de docilité intellectuelles – pour ne pas dire de passivité – , incitatrices d’habitudes de pensées, de préjugés et d’idées reçues… au mépris de la réflexion, de l’esprit d’indépendance et de l’autonomie individuelle de pensée qui sont seules, à mes yeux et selon mon expérience, à pouvoir renouveler ce que l’on peut considérer, pour s’en flatter, comme l’exception culturelle française.
Pour ce qui est de l’anathème pondue par Françoise Marette, épouse Dolto, il faut, bien entendu, pour considérer et apprécier à sa juste valeur le manque de nuances, voire l’extrémisme et l’aberration, avec laquelle elle a été prononcée pour condamner tout à la fois les livres que j’ai publiés et ma personne, re-situer sa bulle de papesse, dans le temps. A la date de sa prononciation, en décembre 72, et, à titre comparatif, évoquer les contextes politico-psycho-sociaux, voire métaphysiques qui prévalaient à cette époque.
Les arguments pédo-psychanalytiques que Françoise Marette-Dolto invoque étaient en corrélation de conséquence avec ces contextes datés de cette période précise du début de la décennie 70, après la déferlante de mai 68.
Ces arguments restent historiquement en rapport étroits avec les critères d’évaluation admis par l’intelligentzia et la doxa françaises de cette époque-là. Ils avaient l’appui des spécialistes rattachés à Jacques Lacan et la désapprobation plus ou moins affirmée des autres psychanalystes de tendances divergentes – René Diatkine par exemple – alors qu’ils réinterprétaient et élargissaient librement, chacun à leur manière, la pensée et les découvertes de Sigmund Freud.
Rappeler alors que ce qui était, en 1972, considéré comme légitimement normal puisqu’inscrit dans nos mœurs et nos habitudes de «voir les choses», devenu par l’accoutumance, une sorte de seconde nature, obtenant de facto l’approbation des majorités silencieuses, en leur donnant, selon nos principes démocratiques définis par les majorités de voix, force de lois… n’a plus rien à voir avec ce que les majorités actuelles pensent et vivent aujourd’hui : le mariage pour tous, les mères porteuses et la Gpa, les transgenres et la pénalisation de l’homophobie… On peut même dire que beaucoup de pédopsychiatres, sensibilisés, ou pas, à la psychanalyse, devraient sourire et probablement s’insurger, s’ils prenaient le soin de connaître et d’évaluer la sévérité et la radicalité de l’anathème de Mme Marette-Dolto publiée dans l’Express, sur deux pages, en décembre 72.
Alain Letort, prenant ma défense, fit la nique à madame la psychanalyste Dolto-Marette
Avec ou sans parti pris, on peut s’étonner donc, en fonction de tous les bouleversements imprévisibles, presqu’incroyables, qui sont intervenus depuis cette date dans les cheminements de l’évolution turbulente de nos façons de penser, de vivre et de considérer “les choses de la vie”… du manque de nuances, du primarisme, et de la naïveté même dont est empreint et chargé le “pronunciamiento” en faveur de la cause des enfants de Françoise Marette-Dolto.
Relire ce qu’elle stipule péremptoirement afin de pouvoir mieux comparer ses rigoureux arguments-principes et règles de vie en les confrontant à toutes les marginalités qui se sont imposées en force comme des normalités aujourd’hui – alors qu’elles étaient autrefois méprisées et conspuées au nom d’un conformisme imposé par nos religions et accréditée juridiquement –, a de quoi donner le vertige…
Mais les faits sont là ! Ces anciens marginaux ont gagné depuis, au cours des quarante-sept années écoulées, leurs droits d’expression et peuvent faire entendre enfin leurs différences. Des différences de convictions, de goûts, de choix, de comportements en matière de sexualité… Alors que Mme Marette-Dolto, en son époque de béatification, pour frapper un grand coup, par l’intermédiaire des médias où elle était avec Ménie Grégoire et Madame Soleil une des trois gloires vénérées nationalement, stigmatisait à tour de bras pour, d’une part : asseoir sa notoriété de femme psychanalyste vis-à-vis de ses confrères masculins, et, d’une manière plus générale d’autre part, imposer, vis-à-vis de tous les Français, son ascendant et son pouvoir de séduction sur l’esprit culturel en général et son label de savante “précursiste” dans l’éternité des notoriétés.
A rappeler ce qu’elle préconisait et s’évertuait de vouloir imposer, selon les principes rigoristes de sa croyance religieuse orthodoxe, (puisqu’elle s’était convertie à cette religion après son mariage avec le kinésithérapeute Mr Boris Dolto )– croyance qui se prétend plus libérée et plus libératoire que le catholicisme – on peut maintenant mieux s’étonner de rappeler ce qu’elle proférerait en credo : qu’il fallait, pour qu’un enfant bénéficie d’un équilibre salutaire indispensable à son épanouissement, «qu’un homme soit un homme, une femme une femme, un arbre un arbre…»
Et pourquoi pas aussi un animal un animal ?... Un mur un mur ?…etc…
Et, dans cet ordre de choses, de penser, si le temps lui avait été permis, presque cinquante après, d’être encore parmi nous, qu’il lui aurait fallu mettre beaucoup d’eau dans son vin et avaler bon nombre de grosses couleuvres… car la vie dans son ensemble, son cours, les changements qui l’affectent, l’auraient bien contrainte d’agréer que ce n’est pas la psychanalyse qui peut, même si elle le prétend et s’efforce de nous le faire croire, dicter ses lois aux mœurs mais bien l’inverse… et que rien, même pas ces médias dont elle a si abondamment usé, ni celles plus particulièrement spécialisées en diversions-divertissements, synonymes pour moi d’endormissement et d’endoctrinement des esprits, ne l’autoriserait plus aujourd’hui à jouer les papesses, extra-voyantes, seules détentrices de paroles de vérité et de décrets inaliénables.
Ma conclusion est encore un constat : Mme Marette-Dolto savait très bien et Mme Boulaire-Binaire sait très bien, en fines mouches qu’elle fut et qu’elle est, qu’en condamnant ou dépréciant l’option éditoriale que je pratiquais et les livres qui en étaient l’issue, obtiendraient en retour, automatiquement, le soutien, la bénédiction et l’intronisation dans les cadres institutionnels de la congrégation nationale, puisque cette congrégation prônait et prône toujours, comme seule valable et bénéfique pour les enfants et la jeunesse, l’option éditoriale populiste, opposée à la mienne, conçue et réalisée par des spécialistes de l’enfance plutôt que par des écrivains. Produite et exposée en masse, avec, pour double objectif, de ne déranger personne, d’être agréée par la majorité des parents et de devenir, mais à bon compte, populaire, cette option éditoriale populiste, cela se comprend aisément pourquoi, est soutenue par des trusts financiers pratiquants aguerris de l’édition sans éditeur dont a parlé André Schiffrin.
Des financiers éditeurs qui n’entendent pas qu’on menace leurs comptes en banque et donc cette exclusivité d’option éditoriale qui est la recette et la source qui remplit leurs tiroirs caisses.
A vous Hélène, et bien entendu à Viviane, pour que vous soyez informées de mon état d’esprit.
Je vous embrasse toutes deux chaleureusement.
François Ruy-Vidal
2019/10/11 DE LB
Ne t’inquiète pas !
Je suis juste pris momentanément par mes activités de graphiste qui me font travailler en pointillés sur le livre.
Je n’ai pas encore digéré tous les courriers précédents mais ça sera certainement bientôt le cas.
Bien amicalement, Loïc
019/11/05 DE LB
Hello François,
J’ai bien lu et annotés tes différents textes, je te remercie, ils sont très détaillés et éclairants, surtout au sujet de tes aventures psychédéliques aux États-Unis. J’ignorais l’influence de Marshall McLuhan sur ton travail mais ça explique bien des choses.
La citation de Denise Joubert à propos la luminosité de tes livres est un beau moment également.
J’ai lu attentivement ce que tu as écrit au sujet de la manière dont les catholiques voient l’éducation des enfants.
À ce propos je m’interroge sur la manière dont tu as perçu le développement de Bayard Presse Jeunes organisé par Yves Beccaria dans les mêmes années qui furent celles de ta première carrière d’éditeur — et comment ces illustrateurs que tu avais recrutés (Galeron, Claveloux, Couratin etc.) ont par la suite beaucoup travaillé avec Mijo et Yves Beccaria (c’est d’ailleurs toi qui le premier avait « orienté » France de Ranchin vers Pomme d’api).
Dans l’attente de te lire, Loïc.
2019/11/06 A LB
On m'a appris que Jacques Glénat, suite à la mort de Guillermo Mordillo en juillet dernier, préparait une réédition du Galion sans me demander mon avis...
... Cela au moment où m'insurgeant contre un article de Cécile Vergez-Sans paru dans “Mémoires du livre” dans lequel elle se livrait à des interprétations farfelues, j'écrivais à Viviane et à Hélène pour rectifier et corriger les conneries avancées par CVS...
Je t'enverrai cette lettre.
Pour Bayard Presse le mérite de ma première rencontre avec Mi-Jo Bécaria, revient à la belle Marie de Poncheville, mère d'Alice, auteure de L'école des loisirs.
C'était à l'occasion de la publication des deux premiers Contes de Ionesco.
Mi-Jo, comme la plupart des prescriptrices de la Littérature enfantine de cette époque prétendait que l'humour de Ionesco qui jouait à appeler le téléphone un fromage... etc n'allait faire que déstabiliser les pauvres petits enfants pour qui « il était tellement difficile d'acquérir les mots qui nommaient les choses»...et autre conneries du même genre...
Je répondis alors que l'humour était un signe d'intelligence et de vivacité d'esprit et que seuls les curés voulaient continuer à le considérer comme de l'insolence parce qu'il dérangeait leur notion d'enseignement basé sur un endoctrinement au lieu d'être basé sur de la réflexion.
C'est par Marie de Poncheville que je connus l'avocat Jules-Marc Baudel, puisqu'il était propriétaire de l'appartement qu'elle lui louait au 3 Place des Vosges où habitait aussi Jean-Claude Brialy.
Avocat qui me défendit alors, après l'affaire Dolto en décembre 72, et qui me suivit jusqu'à mon entrée chez Hatier en 1979.
C'est grâce à Marie et à Brialy qui venait de réaliser avec son frère un film Églantine et préparait un autre film sur les Malheurs de Sophie, que fut montée une émission de télévision dont je n'ai jamais pu retrouver la trace qui était une réaction directe contre l'anathème et les positions de Françoise Dolto.
Marie Jaoul-dePoncheville doit encore habiter dans une des deux villas ( appelées les Jaouls, du nom réel de son père ) construites par Le Corbusier, rue de Longchamp, dans le 16ème arrondissement près du Bois de Boulogne...
Sinon, en passant par Alice, sa fille, auteure de l'École des Loisirs, tu pourrais peut-être retrouver sa trace. Si elle vit encore?... C'est une magnifique personne.
Je suis heureux de savoir que tu tires parti de ce que je t'envoie.
Je t'adresserai demain ma lettre à Viviane et Hélène répondant aux distorsions de que fait Cécile Vergez-Sans dans Mémoires du livre.
Bon courage Loïc. FRV
P.S.
J'ai oublié de mentionner Denis Prache qui était l'ami de Marie en 1972 puisqu'ils vivaient ensemble au 3 Place des Vosges.
Denis avait des raisons de ne pas me porter dans son coeur, Marie s'intéressait trop à ma carrière.
Alors que moi je l'ai toujours bien considéré. C'était un type honnête et qui avait en édition des idées très précisément personnelles et très honorables.
Je pense même que, parmi les gens de métier d'alors, c'était celui qui était le plus dignement respectable. Quelqu'un qui avait des options originales et qui ne se préoccupait pas de savoir s'il était dans les courants de la mode de cette époque. Il voulait simplement suivre son chemin selon ses goûts pour réaliser ses projets.
Raisons qui me font dire qu'il était honorable.
Marie de Poncheville créera ensuite, quand elle fraya avec François Truffaut, une collection de livres de cinéma chez Hatier...
2019/11/06 DE LB
Pour en finir avec les bondieuseries,
je voulais t’interroger sur la parution d’un album chez Jean-Pierre Delarge en 1977, trouvé par hasard la semaine dernière chez une bouquiniste de Caen, intitulé Le Choix du roi des rois dans lequel un malheureux âne se retrouve à porter Marie enceinte du Messie.
Par ailleurs ce livre est un achat puisqu’il a été publié en 1975 en Grande Bretagne. Tout cela ne ressemble guère à aux albums qui portent habituellement ta signature, s’agit-il d’une manœuvre réalisée en ton absence? Ou bien un choix personnel?
Je m’interroge.
À te lire, Loïc.
2019/11/10 A LB
Si je me souviens bien d’avoir donné mon accord puisque j’étais censé être le directeur du département jeunesse qui avait été créé aux Éditions Universitaires contre le paiement des ¾ restant du concordat que j’avais obtenu pour que la Sarl française Un livre d’Harlin Quist puisse être extraite de sa menace de liquidation... je fus bien contraint, très peu de temps après, de constater que cette direction m’était contestée par Jean-Pierre Delarge et par son épouse Bernadette Delarge. Bernadette étant confite en dévotion, très, très, très croyante et préoccupée d'évangeliser tous les enfants du monde.
Au titre d’auteure, bien avant que je n’arrive dans ces Éditions Universitaires Bernadette Delarge avait pondu des catéchismes pour adolescents qui se vendaient très bien en Belgique – puisqu’elle et son mari étaient belges –, mais aussi en France, par l’intermédiaire de Diffédit, société de diffusion-distribution, dont les Éditions Universitaires étaient l'actionnaire principal. Ce même diffuseur-distributeur qui avait continué de distribuer tous les livres que j'avais édités dans la Sarl française Les livres d'Harlin Quist pendant la période où elle fut immobilisée contre paiement du concordat.
Diffédit était donc, dirigée par François Béra, mari d'Armelle Béra, élève de Françoise Dolto, parce qu'il avait été le distributeur des 30 livres que j’avais publiés au cours de ma première étape, le maillon qui m'avait raccordé aux Éditions Universitaires et au couple formé par Jean-Pierre et Bernadette Delarge.
Avant mon arrivée dans ces Éditions Universitaires, en fin d'année 76, le nom de Jean-Pierre Delarge n’apparaissait pas sur la couverture des livres édités par cette société et je ne l’avais jamais rencontré.
Je ne le rencontrerai qu’après avoir donné mon feu vert à François Béra pour le rachat des ¾ de dettes de la Sarl française Les livres d’Harlin Quist et confirmé mon engagement de prendre en contrepartie la responsabilité de rééditer les 30 livres que j’avais publiés dans le cadre de cette Sarl française en stipulant que mon nom figurerait en couverture de tous les livres – non pas de ceux qui seraient publiés dans ce département jeunesse – mais seulement de ceux que je signerais.
Alors, face à mon exigence, Jean-Pierre Delarge m’imposa, mais sans m’en parler en envoyant son directeur François Chaigneau, de juxtaposer son nom au mien, au titre d’éditeur. Ce qui était une première supercherie, imprévisible et inattendue puisque dans mon esprit c’était avec les Éditions Universitaires que j'avais, par l'intermédiaire de Jules-Marc Baudel, mon avocat, négocié signé mon contrat. Pensant alors que ces Éditions Universitaires seraient l’éditrice des livres que je republierais et des nouveaux livres en cours si l’occasion m’était donnée.
L’escroquerie ne s’arrêta pas là puisque le couple Delarge et l’épouse de François Béra, Armelle Béra, psycho-sociologue étaient liés – chose que je ne savais pas non plus – avec Françoise Dolto qui, avec leur complicité, souhaitait avoir un droit de regard non seulement sur les livres que je publierais mais aussi sur ceux que j’avais déjà publiés dans la Sarl française et qui pourraient faire l’objet d’une réédition.
C’est ainsi que, dans mon dos, alors que j’avais mon bureau 14 rue Mayet, au siège des éditions :
-- Jean-Pierre et Bernadette Delarge négocièrent avec Claude Lapointe pour obtenir de lui le rachat des illustrations de Pierre l’ébouriffé et qu’ils rééditèrent une version du livre en remplaçant mon texte par celui de Bernadette Delarge approuvé par Dolto.
--Jean-Pierre Delarge revendit ensuite les Quatre Contes d’Eugène Ionesco à Gallimard en me frustrant de mes doits de concepteur-directeur de collection de ces quatre livres. Sans que les Gallimard ne s’en offusque !
Plus tard et mieux encore, lorsque Jacques Lang devint ministre de la culture, un de ses employés de la rue de Valois m’appela pour me dire que Jean-Pierre Delarge avait sollicité un poste dans ce ministère et qu’il avait donné pour preuve de ses participations dans les activités culturelles françaises, les livres que j’avais publiés aux Éditions Universitaires en prétendant qu’il en était le concepteur et l'éditeur puisqu’ils portaient son nom.
Pour en revenir à ce livre Le choix du roi des rois que tu cites je me souviens qu’il était l’un des deux livres, avec Les oreillons de Vivian et Rose Ostrowxky, parmi plusieurs autres dont je n'ai rien voulu savoir, où je n'ai pas opposé mon véto. Ces livres manifestement empreints de chrétienté avaient été négociés et achetés, à partir de propositions émanant d'éditeurs étrangers, sur proposition de Bernadette Delarge, par Odile Périvier-Baudel, la femme de mon avocat Jules-Marc Baudel, qui avait trouvé le moyen de se faire embaucher par les Delarge pour prendre en charge les droits étrangers des Éditions Universitaires/Jean-Pierre Delarge...
Pour quelles raisons ai-je endossé ce Choix du roi des rois ?...
Odile Périvier-Baudel et son mari, mon avocat, étaient catholiques pratiquants. Jules-Marc chantait à la messe. Ils étaient tous deux parents de trois enfants que je connaissais bien et qui me sautaient au cou lorsque j'arrivais dans leur appartement, qui était aussi le cabinet de son mari, rue Duguay-Trouin...
Odile Périvier-Baudel ne se satisfaisait pas d'être mère au foyer. C'était une universitaire et elle était en mal de reconnaissance. Adjointe de son mari, c'était elle qui avec une secrétaire de fortune préparait toutes les pièces pour l’aider à clarifier les situations de ses clients. Un travail fastidieux mais dont elle s’acquittait bien.
C’est à elle que j’avais donné tous les éléments de ma défense contre Harlin Quist pour l’obtention du concordat qui levait la menace de mise en liquidation. C’est donc par elle, grâce à elle, que mon contrat avec les Éditions Universitaires fut signé. Et, chose imprévisible que je ne souhaitais pas, c’est pour l’aide qu’elle nous apporta que Jean-Pierre Delarge lui demanda de rester dans la maison en free-lance pour négocier achats et ventes avec les éditeurs étrangers.
Ce livre est certainement, comme tu le dis, une bondieuserie mais je ne le renie pas. J’ai été élevé dans la chrétienté et ne m’en plains pas.
Par contre j’ai rencontré beaucoup de gens à Paris qui se prétendaient chrétiens de gauche et qui n’étaient en fait que des cathos de droite.
Les Delarge étaient de ceux-là, les Despinette aussi…
Tandis que les Baudel étaient des vrais chrétiens et Jules-Marc, mon avocat, me l’a prouvé à plusieurs reprises.
L’histoire du Christ et celle de sa mère, Marie, fécondée par le Saint esprit, sont des histoires qui ont nourri mon imagination… Pourquoi ne nourriraient-elles pas celles d’enfants contemporains ?...
Je viens de voir, par hasard car je ne me serai pas déplacé pour cela, le film La passion de Mel Gibson et j’ai été, à ma grande surprise, cloué sur mon fauteuil à voir le procès, le reniement de Pierre, la crucifixion…etc
D’autant plus fasciné que je venais d’écrire un article, mis sur mon blog, où je disais ceci :
Cécile Vergez-Sans prétend et affirme que c'est de ma faute et de mes choix d'auteurs et d'illustrateurs, si je n'ai pas su et pu, rendre les livres que j'ai publiés populaires.
Il s'agit-là d'une argumentation pipée. Un livre ne devient populaire que si les moyens de la diffusion de masse lui sont accordés... C'est une question d'argent et aussi d'avoir accès aux 24 000 lieux de ventes (librairies, bureaux de tabacs et divers autres points de ventes) qui sont trustés par les grands groupes d'édition et les maisons d'héritage.
L'argumentation invoquée par Cécile Vergez-Sans, souvent utilisée par d’autres analystes, qui se veut pertinente, habile et objective, n’est en fait qu’une des tactiques qu’adoptent, afin de se mettre dans la course au mérite, dans le sens du courant et de “se faire bien voir”, sans prendre des risques de déplaire aux quelques éminences qui ratifient les certificats et diplômes permettant d’accéder à la cour des grands dans les arcanes de la congrégation nationale (BNF-Joieparleslivres-CLNJ) qui coiffe la littérature pour la jeunesse, les oppostunistes en tous genres et sans scrupules.
Un bon lecteur, s’il n’est pas d’obédience “endoctrinaire”, du type mouton de Panurge, n'aura pas de mal à percevoir, en lisant ce genre de conclusions superficielles qui se voudraient définitives, ce qui les motive et leur peu de fondement.
Par contre, il peut ne pas avoir envie de savoir, tant le sujet de la Littérature pour la jeunesse est minoré et banalisé, qu’on le frustre ainsi du fond des choses...
Encore que je sois persuadé que ce genre d'analyses-critiques dévalorisantes toujours compensée par d'autres analyses critiques survalorisantes pour des livres dits populaires, ne trompent pas un bon et vrai lecteur, ni des parents soucieux de choisir les meilleurs livres pour leurs enfants et pas ceux dont parle le plus...
Quoi qu'il en soit ces analyses-critiques n'étant pas réalisées par des journalistes, on peut aisément subodorer les dessous de ces subterfuges : à 70% au moins, elles ne sont qu'argumentaires promotionnels de vente déguisés, demandés et obtenus contre paiement, à l'occasion de la mise sur le marché d'une nouveauté, à une rédactrice occasionnelle qui n'est pas journaliste de métier.
Plus grave est lorsque ces analyses-critiques font parties de thèses universitaires et qu'elles n'ont pour fins qu'une valorisation de diplôme personnel, par une hiérarchie institutionnelle qui ne prône que le juste milieu, ce qui est admis majoritairement par l'opinion publique et que l'impétrant-te n'a pas d'autre choix, pour se faire admettre dans la corporation, que de cacarder avec les oies et d'encenser ce qui a été fictivement popularisé.
Là, réside, en ce point précis, ce qui a suscité ma réaction et cet écrit désapprobateur.
Car, mine de rien, c’est la fonction d’analyste-critique elle-même qui est ainsi détournée. Puisqu’au lieu de tenter d’informer, de rendre compte et de faire admettre la pertinence des points de vue dont il et elle pourrait être porteur-révélateur, l’analyste en question ne cherche rien de moins, avant tout et par-dessus tout, en fonction d’une déontologie d’observance hiérarchique – se prétendant neutre mais, en fait, neutralisée –, qu'à se faire adopter par la confrérie dont il fait, ou aspire, à faire partie.
Je veux dire par là, qu’en me déconnectant de ces considérations contextuelles obligeantes et oppressantes contre lesquelles je me suis insurgé, Cécile Vergez-Sans, ne fait que mieux entériner ce qui m’a été constamment reproché pour décrédibiliser ma démarche et mes options éditoriales.
Et ce faisant, en masquant et en occultant, comme le faisaient avant elle beaucoup d’autres analystes qui se prétendaient objectifs – Cécile Boulaire détenant le monopole de l’excès en cette façon de faire –, afin de ne pas remettre en cause l’option d’édition falsifiée que constitue dans la majorité de ses fondements, cette littérature contemporaine surabondante pour la jeunesse et l’organisation nationale qui la soutient.
Dans le seul but, paupériste à mon sens, de ne pas froisser un lectorat et un auditoire acquis à cette option d’édition majoritaire et de ne pas s’attirer les reproches de la hiérarchie des institutions de prescription qui veillent au grain.
Stratégie et tactiques visant, par calcul de réputation en somme, à ne pas contester l’option d’endoctrinement exploitée et agréée, communément et nationalement admise, en lui donnant en quelque sorte, sans le proclamer néanmoins, hypocritement même, leur feu vert afin qu’elle puisse s’enorgueillir d’ainsi prétendre occuper, vitam aeternam, toute la place sur le marché du livre pour la jeunesse.
Ne pas remettre en cause cette exploitation exclusive massive et abusive d’un média telle la littérature pour la jeunesse alors qu'il est indéniablement le plus prestigieusement fondateur pour les enfants et la jeunesse, de leurs manières de penser, de réfléchir et de devenir eux-mêmes, m’a toujours incité à m'insurger puisque je pensais, parce que j'étais un enseignant de vocation, qu'il fallait redonner aux écrivains et aux artistes, seuls habilités pour le faire, les encouragements nécessaires pour qu'ils investissent le champs des productions pour la jeunesse.
Remettre en cause cette exploitation abusive est le premier pas. Celui qu'il faut faire pour saper les fondements de l'idéologie d'endoctrinement que cette exploitation massive diffuse... Un endoctrinement judéo-chrétien qui, à ne considérer que le peu de place qu’occupent, ou que pourraient et devraient occuper les femmes dans les postes de pouvoirs de notre société civilisée nord-occidentale, est criminel.
A ne prendre pour exemple que ces postes – pour ne parler que de littérature pour la jeunesse – où les femmes sont pourtant en majorité... Postes afférant à la conception, la fabrication, la distribution et la prescription de cette littérature pour la jeunesse… bien que, oui, c’est vrai, je dois le reconnaître aussi, il y a eu parmi les femmes de mon temps que j’ai eu l’occasion de côtoyer : Simone Veil, Françoise Giroud, Benoite Groult, Christiane Rochefort, Yvette Roudy, Sylvina Schlumberger-Boissonas, (la fondatrice du MLF et des Éditions des femmes)… qui ont su forcer, légalement, en occupant des postes à responsabilité, les hommes de pouvoir, à la reconnaissance de certains droits des femmes...
Mais toutefois, sans jamais aller jusqu'à dénoncer, ni jamais s’attaquer, à la cause primordiale et essentielle du mal : ce noyau originaire générateur que constitue cet endoctrinement des masses.
Endoctrinement qui a pu s'instaurer et instaurer, progressivement mais fermement dans le temps, en se perpétuant depuis, comme s’il était un fait indubitable et indéniable, une donnée sui-generis de la nature, que les bébés devaient prendre avec le lait maternel, dès leur naissance – voir mon article “Le conformisme dès le berceau”– inoculé par le prêche et par l’exemple : l’exclusion totale des femmes des structures hiérarchiques des églises, synagogues et mosquées et leur proscription des offices religieux.
Chose flagrante et sinistre, dont a témoigné de manière exemplaire la célébration funèbre récente de Jacques Chirac dans l’église Saint Sulpice… Même si, parmi les principales religions monothéistes s’obstinant à maintenir cette règle discriminatoire insultante, seules quelques-unes d’entre ces femmes commencent à s’en affranchir : les adeptes de la religion protestante en ordonnant quelques pasteures, ceux de la religion juive, tolérant aussi, dans leurs ordres, quelques rabines, et, depuis peu, des femmes de la religion musulmane devenant Imame …
Ceci au seul privilège aberrant d’un patriarcat imbu de sa force et convaincu de son obscurantisme qui, plutôt que de se moderniser, de s’aligner et de se recycler, en tenant compte de l’évolution des mœurs, en se référant au bon sens et à l’égalité des droits des êtres des deux genres…etc… choisit de continuer à considérer les femmes comme souillées ou inférieures, et donc indignes de présider aux directives et initiatives de l’organisation civilisatrice humaine.
En témoignerait encore, à supposer qu’on veuille en tenir compte, en vérifiant au besoin mes dires après enquête auprès des derniers vivants : la conversation que j’ai eu avec l’éminente icône que fut et qu’est encore le Père Carré, au cours d’une soirée chez Patrick et Françoise Reumeaux, en présence de Diane de Margerie, ex- femme de Dominique Fernandez : « Les femmes sont incapables, organiquement et physiologiquement – me disait-il, en regardant les livres que j’ai publiés et en énumérant les femmes qui avaient été mes collaboratrices...– en raison de leurs menstrues, de continuité et d'unité d'esprit, de synthèse et d’homogénéité de pensée et on ne peut prendre les risques de leur confier des charges de haute responsabilité…»
Replacée dans l’histoire, compte tenu de la notoriété du Père carré, cette déclaration me semble suffisamment déterminante et probante de cette emprise qu’a toujours voulu exercer la religion dominante – les tentatives de l’extrémisme islamique actuel étant une preuve effective de la volonté potentielle de subjugation et d’asservissement dont toute religion est porteuse-susceptible afin de régner sur la majorité des esprits – sur l’esprit du plus grand nombre.
Avec, pour corollaire contemporain, depuis peu de temps seulement, aggravant cette première aberration, celle des nombreux prêtres homosexuels pédophiles, attestant, à mon avis, de manière significative et à bon escient tout de même, que l’église a toujours eu tendance à attirer vers elle et, par contre coup, vers ses fidèles, beaucoup trop d’hommes qui n’aiment pas, ou qui ont peur, des femmes.
Voilà tout ce que m'a inspiré l'article de Cécile Vergez-Sans !...
Un article qui ne peut intéresser que les fans de littérature pour la jeunesse et quelques sociologues égarés !...
Mais que je vous conseille tout de même de lire, si vous voulez comprendre les raisons de ma démarche de contestation.
Pour finir mon billet : Odile Périvier-Baudel fit une dépression lorsque Delarge se comporta en escroc et que je quittai brutalement la maison, sans un mot, en vidant mon bureau de nuit, aidé par Fabrice Boissière.
Non seulement elle avait été flouée comme je l’avais été par les Delarge, mais, du fait qu’elle avait été leur employée, son mari ne pouvait plus être mon avocat pour me soutenir contre eux.
Elle pleurait me dit son mari.
Je ne l’ai plus jamais revue.
Je ne me relis pas, sinon je ne t’enverrai pas cette lettre.
Loïc, je t’enverrai bientôt la lettre envoyée à Viviane et Hélène à propos de l’article de Cécile Vergez-Sans paru dans Mémoires du livre et tu comprendras que Delarge ne faisait que répéter ce que Quist avait fait avant lui…
Bien à toi. FRV
2019/11/12 A LB
Je vais m'absenter pour deux jours mais je te répondrai jeudi.
le terme “Littérature pour la jeunesse” a été défini au cours d'un colloque à Bordeaux, Colloque de l'ILTAM par Marc Soriano pour complémenter celui de “Littérature pour enfants” parce que l'on m'accusait toujours, en généralisant, de publier des livres trop difficiles pour les enfants.
Je m'insurgeai contre la généralisation et ma défense fut de parler de mon cas, fils de rien, sans livres en raison de la guerre... et pour conclure que je n'avais jamais publié de livres pour les moins de trois ans sauf les Quatre contes, en citant Ionesco.
Je mettais par-là en cause certains precripteurs-trices qui souvent, par excès de préventionnisme et par paupérisme, mésestiment trop souvent les facultés et les capacités (deux choses bien différentes) des enfants des classes dites inférieures. Pour cette catégorie d'intermédiaires du livre, les livres que je publiais n'étaient compréhensibles, en généralisant encore, que par les fils de médecins. Je dis bien les fils car les filles n'étaient pas mentionnées comme pouvant apprécier les livres que je publiais.
A jeudi donc. FRV
2019/11/12 DE LB
Objet : Re : UNE BONDIEUSERIE
Tu es tout pardonné, tous ces détails sont très éclairants!
Pendant que nous parlons de cette période des Éditions Universitaires, peux-tu me parler de la parution de La Brousse, de Ray Bradbury?
Là aussi, fait assez rare, c’est un texte qui préexiste à cette parution. Comment l’as-tu découvert ?
Même question concernant l’illustrateur Jean-Marie Gauthier
Autre question concernant la maquette, elle est créditée à l’illustrateur et à toi, comment avez-vous procédé ?
Enfin, la mention Recommandé pour les plus de dix ans, si elle s’explique aisément, est également inhabituelle si l’on excepte Ernesto « interdit aux plus de 18 ans ». Aurais-tu à ce moment souhaité faire des livres pour un public un peu plus âgé ?
En te remerciant pour ta patience, Loïc
2019/11/23 DE LB
Hello François,
juste un interlude pour te signaler ma présence à Grenoble mardi 3 décembre au matin.
Je donnerai conférence de neuf heures à midi à la médiathèque Kateb Yacine.
Si l’envie t’en prenait nous pourrions nous y voir, ou après (mon train de retour est à quinze heures).
Avec mes amitiés, Loïc
2019/11/28 A LB
S'il te plait Loïc, ne signale pas ma présence mais je serai dans la salle et t'écouterai. Déjeunons ensemble si cela t'est possible.
Mais je t'en prie ne parle pas de moi.
En PJ ma lettre à VE et à HV qui mériterait d'être relue mais que je t'adresse pour que tu comprennes. Amitié. FRV
2019/11/29 A LB
...c'est une triste histoire... pourrais-je dire en pastichant Fugain qui est de la région ... en parlant de ce que fut ma vie, quand je serai de l'autre côté du miroir.
Cette lettre à Viviane et Hélène fait allusion à des passages de mon “Parcours d'ambitions simples” dont je reprends au fur et à mesure que les souvenirs me reviennent la relecture et la réécriture... mais qui ne sera jamais au point... donc que je ne donnerai vraisemblablement pas à publier.
Deux parties sont pourtant, à mon avis, presque en correspondance avec le meilleur que je puisse, sur le plan de la forme, offrir : mes débuts à St Germain des Près et ce que j'appelle “ l’année terrible”, 1974, au moment où j'ai eu, contre moi, aussi bien le conformisme des éditeurs traditionnels pour la jeunesse que le clan des bibliothécaires féministes, activistes et surpuissantes de La Joie par les livres.
Passages que je t'enverrai si ça t'intéresse parce qu'ils expliquent bien les verrous que plaçait l'idéologie d'endoctrinement catholique rigoriste – dont les révélations actuelles du cardinal Barbarin traduisent enfin clairement le radicalisme – et la main mise que l'église a toujours exercé et imposé, de manière hypocrite et implicite, sur l'éducation des enfants et des masses populaires.
J'en avais conscience. Mais confusément !... Et, de toute manière, j'étais seul ou semblais seul... Il aurait fallu être un surhomme pour affronter une telle aussi grave mystification alors qu'elle était menée, sur le plan de la contamination rampante, de main de maître, et aussi subtilement infusée par le bouche à oreille, que l'endoctrinement fasciste implanté dans les esprits par des affiches et des leurres patriotiques de la propagande de Goebbels...
Je ne peux pas, en me retournant sur mon passé, j'avais 8 ans en 39, ne pas avoir senti – plutôt que compris –, les similitudes de moyens diffus et pernicieux qu'adoptaient le capitalisme colonisateur raciste (puisque j'ai grandi en Algérie) avec le soutien de l'église et au nom d'un arianisme suprématiste ...
Mais que cela ne t'empêche pas de dormir!...Je ne me souviens plus de ton visage. Envoie-moi un portrait de toi.
Je t'envoie le mien avec Marie-Hélène d'Ovidio (négociatrice des droits étrangers chez Grasset) et l’autre pris sur le vif, alors que j'étais dans l'angoisse de la dépression qui m'arrivait, en 1986, par Jean-François Ferrané.
A mardi donc, je pourrais te ramener à la gare éventuellement. FRV
2019/11/28 DE LB
Mais… il y a effectivement de quoi faire un livre avec cette lettre. À mardi, incognito.
2019/12/04 DE LB
Cher François,
Je suis rentré bien ému de notre rencontre qui m’a fait tant plaisir!
Ce n’est pas tous les jours que l’on est amené à rencontrer une des personnes qui vous ont permis de forger votre regard.
L’enfant que j’étais et l’homme que je suis devenu doivent beaucoup à tes choix (ainsi qu’à ceux d’Ursula Nordstrom, de Patrick Couratin et d’autres bien sûr…) et si je ne l’ai pas formulé hier c’était avant tout pour ne pas te mettre dans l’embarras. D’autant que tu t’en doutes bien sûr, mais voilà cette fois c’est dit.
Merci encore par ailleurs pour toutes ces informations que tu as bien voulu partager, et qui amèneront d’autres questions...
Je suis bien curieux et impatient de voir le genre de choses que tu choisissais pour la boutique et c’est avec plaisir que je recevrai des livres à l’adresse de mon bureau : Loïc Boyer 56 boulevard Alexandre Martin 45000 Orléans
Avec toutes mes amitiés, Loïc
2019/12/06 A LOÏC BOYER
Mon cher Loïc, tu trouveras ci-dessous quelques remarques que tu as inspirées en nous présentant, à Kateb Yacine, mardi dernier, des images de livres datées des années trente.
J’ai relevé, parmi tes commentaires de présentation sur une des images projetées, qui représentait des visages d’enfants, qu’ils étaient « neutres ».
Tu aurais pu le dire de beaucoup d’autres images de ces années-là. La volonté de « pasteurisation » – mot que je revendique –, des images données aux enfants était monnaie courante et la panacée.
Ce qui, pour autant, ne m’a jamais incité à dire qu’il n’y avait pas d’images nocives pour enfants. Moi-même désavouais l’illustration de Philippe Corentin du “boucher à tête de veau” pour jeunes enfants…
Cette loi de neutralité des images était même la loi primordiale du genre “livres pour enfants”. Alors qu’on était plus coulant dès qu’il s’agissait de livres pour la jeunesse (préadolescents et adolescents).
C’est elle qui faisait dire au Père Cocagnac qu’il ne fallait pas « forcer l’esprit des enfants ».
Loi de base qui lui permettait ainsi de demander à Jacques Le Scanf et à Alain Le Foll de se contrefaire et d’épurer leur style, de simplifier leurs illustrations… afin d’obtenir cette neutralité des images, considérée comme étant préventivement protectrice de l’esprit des enfants…
Contrefaçon qui allait jusqu’à la non-identification possible de leur expression graphique – Ce n’était plus du Le Scanf ou du Le Foll –, afin que la série de livres religieux inspirés de la Bible qu’ils illustraient, comme le père Cocagnac avait décidé qu’on devait le faire, soient convenables et sans danger de contamination pour de jeunes enfants.
Je t’adresserai bientôt la partie de mon “ parcours d’ambition simples ” qui traite des rapports et des conversations que j’ai eus avec le père Cocagnac dans les années 67-68.
Mais cette neutralité n’était pas le seul fait de la collection dirigée par le Père Cocagnac. Elle avait fait école avant lui et il ne faisait en l’appliquant que la justifier. Elle était revendiquée par tous les éditeurs traditionnels catholiques ou pas, au nom même de principes psychopédagogiques revendiqués par Paul Faucher, pourtant disciple des théories de l’éducation nouvelle et au nom aussi, ce que l’on sait et que l’on dit moins, de la laïcité, par les éminences du Ministère de l’Éducation Nationale pour toutes les illustrations figurant dans les manuels scolaires et les tableaux de langage.
Elle faisait partie de cette déontologie de castrés-trées dont j’ai souvent parlé et qui agace les féministes, alors que ça n’a rien à voir avec le féminisme, mais, plutôt, avec ces femmes, des bibliothécaires en majorité, qui se réfugient dans la littérature pour la jeunesse parce que c’est le seul os à ronger que la société patriarcale leur laissait…
Déontologie rarement et directement invoquée et exprimée, mais qui est par-contre strictement et tacitement imposée et exercée, pour rassurer, à bon compte, les parents acheteurs, par les trusts d’édition traditionnalistes internationaux de notre civilisation judéo-chrétienne Nord-occidentale.
Déontologie qui prescrivait, et prescrit encore de nos jours, à tous les actants œuvrant dans les productions destinées aux enfants – on ne parlait pas encore, à ce moment-là, de jeunesse –, de ne jamais aborder, d’éviter d’aborder même, toute notion de religion et de politique. Avec par extension, puisque la pédagogie était devenue une pédagogie active (CEMÉA équivalant à Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active) et de Conscientisation (Bertolt Brecht et René Zazzo) assimilée à tort exclusivement à Célestin Freinet et au communisme : une interdiction radicale d’envisager sous cet angle, la conception des productions pour enfants et encore moins, à la réception, de tenir compte des livres qui enfreignaient cette déontologie…sinon bien entendu pour les proscrire ou simplement les passer sous silence – cas de nombreux livres que j’ai publiés – afin bien entendu de les neutraliser et de les exclure du circuit d’exposition au public…
C’est contre cette option éditoriale de neutralité-là que je me suis insurgé et que j’ai agi.... Mais pourquoi ?...
Parce que j’avais constaté, dans l’Algérie colonialiste de mon époque, que ceux qui parlaient de laïcité, oubliaient toujours de considérer qu’ils imposaient à tous, en colonisateurs suprématistes triomphants, leur culture (concentré de religion, de politique et de pédagogie) à des indigènes qu’ils avaient vaincus et muselés en exigeant d’eux qu’ils se taisent, qu’ils se laissent dominer et renoncent à l’affirmation et à la pratique de leur culture.
Je concluais en pensant qu’on ne pouvait parler de laïcité véritable – droit d’expression de chacun – que s’il y avait égalité de droits culturels. Ce qui n’était pas le cas à mon époque algérienne et qui n’est toujours pas le cas actuellement. J’entends toujours, autour de moi, dire le plus souvent « Nous sommes chez nous, il faut qu’ils se plient à nos coutumes ou qu’ils repartent chez eux ! » Signe, à l'évidence, que toutes les ethnies ne se placent pas sur le même pied d'égalité !
Mon article “Violences silencieuses” prononcé en 2000, à L’Heure Joyeuse, lors de mon entrée au conseil d’administration du CRILJ allait dans ce sens.
Je maintiens, parce que je l’ai vérifié en plusieurs occasions, que les suprématistes et ceux qui détiennent le pouvoir et les avantages du pouvoir, oublient toujours de considérer et de compter leurs privilèges dans leurs jugements de valeurs.
Le mépris des plus pauvres, des moins dotés, des sans-dents… basé sur la minorisation, voire le prétexte d’absence des facultés et des capacités dont peuvent disposer les enfants, faisant partie de l’argumentation essentielle récurrente qui justifie leur dévalorisation des autres.
Un mépris a priori, perfidement masqué, mais rigoureusement mis en pratique et appliqué.
En 1965, j’eus l’occasion de reprendre conscience des mêmes abus et de la même argumentation justificatrice à New York, lorsqu’Harlin Quist, qui se flattait d’être un WASP (White Anglo Saxon Protestant) et qui me reprochait d’aller manger chez les “pigs” lorsque j’allais manger du poulet frit dans des restaurants rapides de la chaîne noire des “Chock full of nuts”, affirmait que les Noirs américains étaient incultes, qu’ils n’avaient pas le droit de réclamer leurs droits civiques puisqu’ils étaient incapables d’être des démocrates et donc qu’ils ne les méritaient pas …
Ce qui me permettra, de lui jouer un tour à ma façon, en parlant avec Guy Monréal, qui avait grandi comme moi dans l’Algérie colonialiste, et de lui imposer que Rodolphe d’Alcantara soit un Noir dans les Télémorphoses d’Alala…
Pour en revenir à cette neutralité soi-disant protectrice de l’esprit des enfants, je te rappelle, cher Loïc, que mon premier catalogue en 1967 allait déjà à contre-sens de cette prétendue neutralité protectrice.
Ce qui me conduisit en fait, afin de mettre en application cette option de principe, qui était pour moi, quoi qu’on en pense, autant religieuse, politique que pédagogique – on pourrait même aller jusqu’à dire qu’elle était anti-religieuse, anti-politique et anti-apédagogique (puisque ce principe de neutralité niait carrément la pédagogie)–, pour qu’elle devienne mon option éditoriale principale, de répéter, chaque fois que je sollicitais des auteurs et des illustrateurs, susceptibles de devenir mes collaborateurs – certains d’entre eux ne comprirent pas ce dont je parlais et certains autres refusèrent d’y participer – que la littérature et l’illustration – considérée alors, à cette époque-là, comme un art mineur puisqu’elle était forcément dépendante d’un texte, même dans les Écoles des Beaux-Arts, – faisaient partie des arts d’expression et, comme tels, devaient s’imposer comme des arts à part entière même quand il s’agissait d’enfants.
Ce qui sous-entendait pour moi, qu’en les plaçant sur un plan d’égalité de valeurs, littérature et illustration étaient des arts individuels d’expression. Ou des arts d’expression individuelle.
Et, dans ce sens-là, pour en revenir aux visages dont tu constatais la neutralité, que les visages, comme les illustrations en général, devaient être caractérisés, personnalisés, « passionnalisés » (aurait pu dire Roland Barthes)… pour pouvoir, par le double processus de lecture des textes et des images, permettre aux lecteurs (enfants, jeunes, ou adultes tout aussi bien), par confrontation avec les dévoilements des écrivains et des illustrateurs – dévoilements consciemment et inconsciemment exprimés – de se projeter, de s’identifier et de se défalquer, consciemment ou inconsciemment, pour choisir et affirmer, à leur tour, leurs interprétations, en se dévoilant eux-mêmes à eux-mêmes.
Le seul danger étant alors, particulièrement lorsqu’il s’agit d’enfants, les pouvoirs de subjugation que peuvent exercer ces deux arts d’expression –subjugation que tout art d’expression peut exercer – sur des individus passifs ou fragilisés, incapables de capacités de réflexion, donc contaminés, parce qu’exposés et soumis trop exclusivement à ces productions “neutralisées” relevant d’idéologies d’endoctrinement d’apédagogie ou de pédagogies non-actives.
J’aborderai une prochaine fois :
--le sujet “graphisme et illustration” parce que pour certains, Roman Ciescléviz plus particulièrement, il ne fallait pas les confondre, alors que chez Couratin (sorti néanmoins de la même école de Cracovie) ces deux notions étaient inséparables.
--Ce que j’ai appelé le langage du diable par opposition à l’iconophobie des trois religions monothéistes (chrétienne, juive et musulmane). Titre de la communication que j’ai faite à Pau, devant les élèves de l’École des Beaux-Arts, en 2002, avec des projections de numérisations, de tableaux et d'illustrations, réalisées par mon fils, tirés des oeuvres d'Albrecht Dürer, Bruegel, Jérôme Bosch et consort, qui m’ont influencé.
Ce langage du diable, langage-discours des images dans la peinture et l‘illustration, étant celui qui a structuré ou inspiré mes démarches et mes conversations avec les auteurs et les illustrateurs avec lesquels j’ai collaboré.
Bien à toi. François.
Ci-joint, un article qu’a publié le centre Boquié-Bermond :
Harlin Quist et Ruy-Vidal - LivrJeun
livrjeun.bibli.fr › opac › doc_num
Pierre l'ébouriffé. Heinrich Hoffman, illustrations de Claude Lapointe, traduit par François Ruy-Vidal – 1972.
2019/12/20 DE LB
Bonjour François,
Je viens de récupérer ton paquet déposé à mon bureau par le facteur et… c’est Noël en avance !!!
Le livre sur Alain Gauthier est passionnant, j’adore explorer les autres facettes (souvent moins connues, moins pérennes) de l’œuvre d’un illustrateur, je vais faire mon miel de cet ouvrage.
Et je vais lire avec attention ce Pierre l’ébouriffé tant commenté.
Quand au catalogue, à l’enveloppe et au papier à en-tête, c’est la cerise sur le gâteau : ce genre d’objet « secondaire » me rend tout à fait dingue — sans compter la gentillesse de ta lettre ! Mille mercis pour ces cadeaux et pour ta bienveillance.
Et aussitôt viennent des questions nouvelles : à quoi correspondait l’appellation Les livres du Cyclope ? On la retrouve sur le papier) en-tête et également sur la couverture d’Andromedar SR1 par exemple.
Une autre, qui n’a rien à voir avec cet envoi : comment s’est faite l’articulation entre la publication de ton Petit Poucet en 1974 et la publication du disque deux ans plus tard avec Gavardin ? Bien à toi, Loïc
2019/12/20 A LB
Des titres possibles pour ton livre que je te soumets afin d'aiguiller tes recherches et sans te les imposer :
“La littérature aux couleurs et aux risques de l'illustration”.
Les mots littérature et illustrations en gros, selon une composition graphique les mettant à égalité.
Avec un sous-titre “Et des 3 lectures”.
Avant ça j'avais trouvé :
“La littérature arc-en-ciel” “Des images et des mots... Et des 3 lectures”...
Titres qui ne sont que des suggestions. A toi. FRV
2019/12/21 A LB
Le cyclope c’était moi !
J’ai longtemps été très admiratif d’Odilon Redon et d’un rideau de scène qu’il avait imaginée pour le Théâtre de Bordeaux mais dont je n’ai pas pu retrouver la trace, de sa représentation du cyclope, de ses peintures et d’œuvres diverses représentant un œil…et également de “l’œil ailé” d’André François par exemple…
En psychanalyse cette obsession de l’œil – et forcément du regard qu’il porte sur les choses ou de l’œil qui voit et qui est vu – doit forcément vouloir dire quelque chose, mais…Peu me chaut !...
Mon titre pour le livre de la collection 3 pommes écrit par Jacques Maréchal, mon copain du TNP, sur des masques de Françoise Darne (une du club des cinq qui avaient été des élèves de la mère de Nicole Claveloux) était : “Jean qui voit et Jean qui est vu, turlututu têtu”. Et il comportait, en fonction des principes pédagogiques de conscientisation et de distanciation, 3 points de vue pour chacun des masques.
Pour le masque de l’étonné par exemple la mise en page sépare ces trois angles d’écriture.
Bêtement je n’ai choisi que 2 typographies alors que j’aurais dû en utiliser 3 :
--une pour un paragraphe qui traduisait le ressenti de quelqu’un qui voyait et décrivait cet étonné représenté par le masque sur la page de droite,
--la deuxième pour le paragraphe qui traitait de ce que voyait l’étonné et qui causait son étonnement
--et le troisième qui était une invite à l’étonnement
Quelques paroles de, et autour d’Odilon Redon, qui me paraissent significatives et intéressantes que tu connaisses :
« On ne peut m’enlever le mérite de donner l’illusion de la vie à mes créations les plus irréelles. Toute mon originalité consiste donc à faire vivre humainement des êtres invraisemblables selon les lois du vraisemblable, en mettant, autant que possible, la logique du visible au service de l’invisible »
Cette citation rejoint ce que nous nous disions John Ashbery et moi, avant qu’il ne me présente Harlin Quist, à propos du dicible et de l’indicible en littérature tandis qu’il me faisait commenter les articles de la Revue de Jean-Jacques Pauvert Bizarre sur Raymond Roussel et son Locus Solus.
Odilon Redon a travaillé avec le poète Mallarmé et tous deux ont été inspiré par Gustave Moreau.
« C'est avec Mallarmé que la « suggestion » devient le fondement de la poétique antiréaliste et fait du symbolisme un impressionnisme littéraire ».
Son œuvre est alors celle de l'absence de signification qui « signifie davantage » ... puisque le poète cherche à atteindre les « splendeurs situées derrière le tombeau » …
C’était donc un symboliste et un impressionniste …etc…
Je te renvoie à son œuvre qui est très explicite pour moi alors qu’elle est plutôt assez mal définissable parce qu’elle est autant graphique puisqu’architecturale et, en même temps, aussi précisément illustrative que picturalement impressionniste… Mais au vrai, je dois dire que je luttais, allez savoir pourquoi, contre l’utilisation de mon nom comme marque de fabrique.
Alors pourtant que je savais pertinemment que c’était l’usage habituel en édition aussi bien que dans tous les domaines de l’industrie et du commerce.
Je m’explique cela maintenant en invoquant plusieurs raisons :
--J’en voulais à mon père de ne pas avoir épousé ma mère, sinon trois ou quatre mois avant qu’elle meure. Et, par contre, d’avoir épousé immédiatement sa deuxième femme, à peine plus vieille que moi, pour pouvoir la mettre dans son lit.
Son nom, que je portais puisqu’il m’avait reconnu, m’était insupportable.
--Je ne voulais pas faire comme les éditeurs d’héritage qui mettaient automatiquement leur nom sur les livres qu’ils publiaient alors qu’ils n’avaient souvent rien fait pour les faire naître.
Jean-Max Leclerc, successeur et directeur des éditions Armand Colin que j’ai rencontré par le biais de son beau-frère, l’illustrateur Bruno Raffaeli – qui a réalisé à ma demande les illustrations d’Aladdin et la lampe merveilleuse, que je n’ai pas pu publier – disait à mon propos que j’étais l’exemple parfait de ces jeunes « Rastignacs sans nom » qui venaient usurper, en s’infiltrant dans l’édition, prêts à tout, pour se faire, à peu de frais, une notoriété et un nom.
Personnellement, contrariant par-là l'ambition que me prêtait ce fils d'héritage qu'était Jean-Max Leclerc, je me suis toujours considéré plutôt comme un concepteur de livres ou un directeur de collection, plutôt que comme un éditeur. Me désignant plutôt comme un catalyseur de création. Titre et statut que j’ai plusieurs fois revendiqués. Me plaçant en somme au même rang et aux côtés de l’auteur et de l’illustrateur, un parmi les autres effectivement collaborateurs et réalisateurs du produit matériel qu'est aussi le livre, même si j'avais appris pourtant, au cours de la première partie de mon parcours, que j’étais seul responsable de la publication.
Ces considérations, je le sais bien, portent en elles d’énormes contradictions. Contradictions dont j’étais conscient avant et après coup, puisque j’ai souvent eu à m’en plaindre, particulièrement avec Quist et avec Delarge, mais que je me suis entêté, sans en avoir pleinement conscience et sans savoir exactement pourquoi, à laisser s’aggraver.
Particulièrement en appelant la première société d'édition que j'ai fondée la Sarl française Les livres d’Harlin Quist.
Je suppose que je ne voulais pas, en ne donnant pas mon nom aux livres que je publiais, entrer dans le jeu des egos surdimensionnés des éditeurs que j’avais rencontrés... Et il faut bien reconnaître que le métier d’éditeur suscite et encourage l’ego de ceux qui y aspirent et qui s'y risquent.
Beaucoup de gens à particule postulent pour travailler dans l’édition, sur le devant ou dans les coulisses, uniquement parfois parce qu'elle est considérée comme un métier noble et comme un moyen d'accéder à la notoriété.
Et puis il y a encore pire, l’orgueil des fils ou petits-fils d’éditeurs, comme Jean-Claude Fasquelle, celui que j’appelais le baron Fasquelle, éditeur d’héritage, qui s’imposait éditeur par droit de naissance comme si c'était un droit du sol, mais sans avoir réellement l’étoffe ou la vocation d’un éditeur. Il me parait bon de rappeler ici, que Le grand-père du baron Jean-Claude Fasquelle, “Eugène, y a pas d’gêne” avait racheté tout le travail et le stock de l’éditeur Georges Charpentier qui, lui, en véritable éditeur, avait dépensé ses forces et son argent pour publier Flaubert, Zola, Maupassant, Alphonse Daudet…et tant d'autres...
En bref, je ne voulais pas entrer dans ce moule-là.
Philippe Gavardin :
Une belle histoire d’amitié de métier mal vécue parce que « c’était moi et parce que c’était lui ».
Pour mon compte j’explique cette inaptitude à vivre notre amitié parce que lorsque j’ai rencontré Philippe Gavardin – qui m’a sollicité pour réaliser des disques à partir des Quatre contes de Ionesco – je me mordais les doigts d’avoir cru que l’amitié soit possible avec Harlin Quist. Naïvement, m’engageant en édition dans cette association sur une base amicale, j’avais vite déchanté. Et la déception dans laquelle j’étais encore empêtré qui m’obligeait de plus à supporter cet échec en me taisant pour que les livres continuent d’être produits, ne m’encourageait pas à recommencer.
C’est dire qu’en chat échaudé, je n’avais plus envie de croire que des sentiments puissent être partagés entre des personnes œuvrant dans ces métiers du livre et plus particulièrement, d'une part, entre éditeurs et, d'autre part, avec les illustrateurs... Ces derniers allant toujours au plus offrant, en se persuadant que leur nouveau et dernier travail était toujours meilleur que le précédent et en se reniant souvent au nom de cette nouveauté…
Cette fuite en avant des illustrateurs-trices, plusieurs fois constatée, même chez les plus fidèles d’entre eux – Claveloux par exemple – est un trait récurrent spécifique aux illustrateurs. Essayant de l’expliquer j’avais fini par déduire qu’il était probablement dû à l’incertitude de leur statut ou au manque d’affirmation de leur personnalité.
Il n’y a pas et il n'y a jamais eu d’illustrateurs-trices à l’Académie Française.
Pourtant, du moins il me semble, les œuvres publiées, lorsqu’elles ont été délibérément consenties et pas seulement réalisées pour le fric qu’elle leur a rapporté, devraient au contraire servir de base et de socle référentiels à ces illustrateurs-trices… socle dont ils et elles devraient être fiers…
C’est exactement comme cela, en me reniant, que se comportèrent avec moi Patrick Couratin, Henri Galeron, Jacques Rozier et Claude Lapointe… Tandis que les femmes, nombreuses avec qui j’ai collaboré, ont toujours été plus reconnaissantes et plus fidèles…
Papiers découpés de Mila Boutan pour Pierre sui mousse sur des vers libres de Daniel Thibon
Ce qui ne veut pas dire que d’autres illustrateurs ne m’ont pas été reconnaissants : Alain Gauthier le premier. Alain Letort et Robert Constantin ensuite… avec qui j’ai entretenu de véritables relations d’amitié.
Illustration de Robert Constantin pour Au pied de la lettre de Jérôme Peignot
Par contre, pour ce qui est de Philippe Gavardin et de son incapacité à vivre ses amitiés, je ne peux que présumer car il était d’un naturel assez timoré et complexe et plutôt secret. Tout en étant un grand bâfreur. La bouffe étant probablement ce qui lui permettait de se décomplexer. Il me manifestait son amitié en m’invitant à déjeuner dans des brasseries et des restaurants très chic : La coupole, la brasserie La Lorraine de la Place Wagram, La perdrix rouge…etc
Ce que j’aimais en lui était son exigence de qualité et sa modestie presque son humilité. Je ne l’ai jamais entendu se flatter ou se glorifier de ce qu’il faisait en matière de réalisation de disques. Notre relation commença par un bide colossal puisque la direction du parti communiste, une femme, Michèle Alten – celle qui semble avoir tout fait au Chant du monde puisque le nom de Philippe Gavardin n’est même plus mentionné dans le wikipédia d’internet –, lui refusa l’autorisation de réaliser, comme il le souhaitait, des disques avec les Quatre contes de Ionesco. Au motif que l’auteur était de droite toute.
Alors que Ionesco, comme il me le raconta lorsque je lui annonçai que j’avais sollicité Marguerite Duras, était plutôt prudemment méfiant de toute politique en raison de la triste expérience personnelle qu’il avait eu à vivre dans sa famille : son père avait collaboré avec les nazis pendant l’occupation allemande de la Roumanie, puis avait totalement viré à gauche, après l’occupation communiste de cette même Roumanie…
Ma relation avec Philippe Garvardin commença dans un bureau qu’il avait installé chez la chanteuse Monique Morelli que j’avais connue par le sulfureux Nicolas Genka, l’auteur de L’épi monstre et Jeanne la pudeur interdits à la vente par décision de justice. Pour qui, néanmoins, j’avais établi mon premier contrat d’édition et obtenu mon premier texte La baleine de Nantucket que je n’ai pas publié parce que Nicolas voulait m’imposer des illustrations de Roland Rolland fils de René Moreux (illustrateur lui-même) qui imitaient le dessin d’enfant. Le manuscrit fut publié par un gars de notre bande Christian Bourgois sous un autre titre : L'Abominable Boum des entrepôts Léon-Arthur …
Le secrétaire de Philippe Gavardin était l’ancien secrétaire d’Alain Delon. C’est dire que, tout en revendiquant ses convictions communistes, il choisissait toujours plutôt le beau monde. Son père habitait dans une maison en bordure du bois de Boulogne, il vivait avec Marie-Hélène, top-model d’Hubert de Givenchy…
Son ralliement au Parti était en quelque sorte une rébellion contre le père et c’est peut-être ce qui nous rapprochait… Mais sans nous l’avouer.
Le cabaret de Monique Morelli, Chez Ubu, où j’allais souvent à l’improviste, puisqu’il était ouvert tous les soirs, pour l’entendre chanter La rue St Vincent et lui amener du monde, était construit dans le flanc de la butte Montmartre du côté non-touristique rue du Chevalier de la Barre. Monique réveillait son accordéoniste de mari Léonardi, sortait des bouteilles qu’elle remplissait d’un vin rouge tiré du tonneau, endossait sa grande écharpe rouge et nous enchantait de poèmes de François Villon, de Mac Orlan ou d’Aragon.
Monique me présenta son fils Patrick Morelli puis nous nous retrouvâmes d’abord à la SGDL puis à la SCAM quand nous décidâmes de la fonder.
« Patrick Morelli savait tout faire : metteur en scène, vidéaste, auteur-réalisateur multimedia, créateur d’images et de mondes imaginaires, fondateur de La Lune et les étoiles et concepteur du Crépuscule des Jours…
Il est parti en septembre 2007, laissant derrière lui une œuvre importante et inclassable.»
La coïncidence Morelli-Gavardin-le chant du monde, plaidait pour que je considère Philippe Gavardin comme étant de ma famille intellectuelle.
Armand Friedmann propriétaire du studio d’enregistrement de la rue Ramey Paris 18, où Philippe m’enregistra en plusieurs occasions, celui qui composera les 10 petites musiques des 10 albums présentés dans Le pays qui nous appartient pour le Festival du livre de Montreuil, fit aussi partie de cette famille-là.
Le disque du Petit Poucet
Quoi qu’il en soit, je ne peux pas dire que j’aime le disque réalisé par Philippe Gavardin, à partir de mon adaptation du Petit Poucet.
Je le trouve trop intellectuellement ambitieux, voire prétentieux.
A tort peut-être, je considère ma version du conte classique comme simple, simplement lisible et simplement compréhensible. Alors que le disque en voulant aller esthétiquement plus loin m’agace et m’horripile même.
Au moment de la préparation du disque Philippe Gavardin me demanda d’expliciter davantage le préambule : les conditions politico-sociales de l’aliénation des parents. C’est-à-dire les raisons de leur misère et de leur décision de perdre leurs enfants. Ce qui me semblait bien inutile puisque j’avais déjà fait cela, suffisamment même, dans le préambule du livre
Préambule que Marc Soriano, à qui Pierrette Rosset, l’attachée de presse de Grasset Jeunesse, sans m’en parler, avait soumis mon texte, suggéra qu’il soit placé en postface pour ne pas décourager les jeunes lecteurs… Ce que je refusais catégoriquement puisque, dans mon esprit, ce préambule devait servir comme test de lecture. J’estimais qu’il fallait avoir au moins dix-douze ans pour être en mesure de comprendre la critique politico-sociale que je faisais du régime de royauté visé.
J’ai alors écrit pour Philippe Gavardin, mais de mauvais cœur, des compléments explicatifs mais redondants sur ces conditions politico-sociales. Compléments dont il s’est probablement servi pour convaincre Jean-Loup Méchali et les différents autres acteurs opérateurs du disque du bienfondé de l’engagement politique de mon texte. Compléments dont il reste quelques traces dans le disque.
Mais je répétais, pour me disculper, que l’important de mon parti-pris n’était pas seulement là où Philippe Gavardin voulait le voir, mais plutôt :
-- en préface et préambules au conte lui-même lorsque je disais qu’il ne fallait pas confondre contes de fées et comptes de faits
-- en postface et conclusion, lorsque j’incitais le lecteur à bien faire la distinction entre celui qui croit, selon la moralité proposée par Claude Lapointe, qu’il a réussi sa vie parce qu’il est devenu riche et qu’il est bien sapé...
... et cet autre qui, débarrassé de ses brocards par les oiseaux qui ont toujours suivis ses pas, se retrouve nu et obligé d'admettre que la meilleure manière de réussir sa vie est d’arriver à savoir qui on est, qui on peut être et qui on doit être, avec ou sans le sou.
En espérant avoir répondu à tes questions. François
2019/12/22 A LB
Une réponse labyrinthique à tes questions.
En ayant l'impression de me répéter puisque j'ai déjà écrit tout ça dans mon “Parcours d'ambitions simples” et dans les plus de 50 articles placés sur mon blog.
Mais que je fais pour toi avec plaisir. En PJ.
Joyeux Noël à toi et aux tiens. FRV
2020/03/26 DE LB
Bonjour François,
Juste un petit mot pour prendre de tes nouvelles en ces temps difficiles.
J’espère que tu vas bien. Je n’ai pas reçu de réponse à mes dernières questions alors, forcément, je m’inquiète.
De mon côté je profite d’être chez moi pour travailler les projets au long cours comme le livre qui te concerne ainsi que l’exposition qui accompagnera sa sortie.
J’ai eu en février un rendez-vous avec la responsable de la section jeunesse de la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon et nous avons commencé à réfléchir à cette expo qui aura lieu à l’automne 2021.
À bientôt de te lire, Loïc Boyer
2020/03/27 A LB
Mon cher Loïc,
Parmi ces questions que tu m’as posées, je ne retrouve que ces deux-là :
Et aussitôt viennent des questions nouvelles : à quoi correspondait l’appellation Les livres du Cyclope? On la retrouve sur le papier à en-tête et également sur la couverture d’Andromedar SR1 par exemple.
Une autre, qui n’a rien à voir avec cet envoi : comment s’est faite l’articulation entre la publication de ton Petit Poucet en 1974 et la publication du disque deux ans plus tard avec Gavardin?
Deux questions auxquelles j’ai répondu longuement dans ma lettre illustrée de photos d’Odilon Redon du 2019/12/21.
Ne l’aurais-tu pas reçue?... Ou bien pas lue ?...
Lettre qui te promettait aussi de te donner à lire mon chapitre sur le Père Cocagnac et son « Il ne faut pas forcer l’esprit des enfants »
Chapitre que je t’enverrai bientôt...
Par contre pas du tout satisfait de ce long roman qu’était cette longue lettre que j'ai écrite pour Viviane et Hélène, qui répondait aux allégations à la con de l’article qu’a fait paraître Cécile Vergez-Sans dans Mémoire du livre, et que je t’ai aussi envoyée, je l’ai repris et copieusement mieux argumentée en ajoutant des détails sur les raisons de ma dissociation avec Harlin Quist.
Lettre que je t’ai envoyée trop tôt puisqu’elle n’était qu’un écrit de premier jet, un brouillon en quelque sorte, mais que je te renverrai bientôt quand, les souvenirs me revenant progressivement et péniblement, elle sera définitivement au point.
Quelques mises au point s'imposent entre nous :
-- je préfèrerais plutôt que d’avoir à répondre à des questions que tu me poserais, parce que j’ai l’impression d’avoir répété cent fois ce que je pouvais dire, que tu prennes dans ce que j’ai déjà écrit ce qui t’intéresse et qui concerne ton livre.
Ne te vexe pas mais j’en ai ma claque de me répéter. D’autant plus que la plupart du temps ces questions me sont posées pour que je justifie mes points de vue, comme si je devais toujours figurer en accusé illégitime.
C’est exactement ce qu’a fait Cécile Vergès-Sans pour finir, après m’avoir entretenu pendant 3 ans et soutiré mes explications, en prétendant que les livres que j'avais produits étaient invendables... Sans tenir compte des coéditions européennes (allemande, suisse-allemande, danoise, suédoise, néerlandaise, italienne) en plus de la coédition anglo-américaine que ces livres avaient suscités et des sollicitations dont j'avais été l'objet : celles de Simon Nora pour Grasset, celles de Jean-Pierre Delarge pour les Éditions Universitaires, celles de Jean-Paul Mengès pour les livres de la rue Sésame, celles d'Alain Pierson pour Les song's books, celle enfin de François Foulon et de Catherine Scob pour les Éditions Hatier/L'Amitié...
Cécile Vergez-Sans se rangeait, par intérêt de carrière et de réputation, aux avis de ses consœurs conformistes de la congrégation tripartite formée par La joie par les livres en tête et par ralliement la BNF et le CNLJ. Dont Cécile Boulaire se veut être la dernière reine des abeilles. Il s'agissait d'hurler avec les loups, par corporatisme bêta, mais à des fins de se faire bien voir et de devenir honorable... Pouah !...
J’ai eu tort de penser qu'elle pouvait comprendre et j’ai eu tort de répondre à ses questions.
Mes vérités, toutes subjectives qu’elles soient, ont leurs petites valeurs. Ce sont les miennes certes. Mais je n'en suis pas dupe ! Car ce n'est qu'à partir d'elles, même si certains peuvent les trouver tendancieuses en fonction de leur appartenance, que ceux qui les lisent peuvent, et doivent, leur donner, selon leurs interprétations, leurs propres valeurs.
Je pense que c’est ce que j’aurais dû faire depuis longtemps : laisser aux gens dire n’importe quoi.
Ce qui veut dire qu’une fois finie ma longue-lettre-long-roman qui sera mon testament, je ne partirai plus en guerre contre ces interprétations de n’importe qui.
J’ai eu du mal à dire ce que je dis dans cette lettre. J’avais même juré de ne jamais en parler. Ce sont les conneries inventées et dites par Cécile Vergez-Sans et la colère qu’elles m’ont inspiré qui m’a fait sortir de mes gonds et contraint à cracher dans la soupe.
Je l’ai fait pour me disculper et défendre une vérité historique avec rage mais en me méprisant...Et je dois avouer, maintenant que la chose faite, sept ou huit mois après le premier jet, que ça m’a libéré et que je suis content de l’avoir fait.
Je t’enverrai cette dernière version au moment où je l’enverrai à Viviane et à Hélène en te demandant, comme à elles deux de jeter la première version au panier.
Version dont je ne veux pas qu’on se serve sans mon autorisation écrite ou sans celle de mon légataire quand je serai mort.
Pour ce qui est des questions que tu pourrais te poser, deux manières sont à ta disposition :
-- le téléphone dont tu as mes numéros
-- Dans mon blog, http://ruyvidal.blog4ever.com si tu en as envie, je suis certain que tu trouverais parmi la cinquantaine d’articles que j’ai mis en ligne, non seulement toutes les réponses aux questions que tu te poses mais aussi à des questions que tu devrais ou pourrais te poser et dont tu n’as pas idée.
Par ailleurs, tu trouveras en vrac, ci-après, ce qui m’est venu à l’esprit en pensant à la préparation de ton livre :
En évidence et préambule obligatoire : Je ne veux pas que ce livre que tu prépares ne soit qu’un « livre qui “me” concerne ». Qui “me” concerne uniquement.
Ce doit être “ton” livre.
Un livre auquel cependant j’accepte et veux participer en te rappelant au besoin des contextes que tu n’as pas connus et en te fournissant des explications que je suis seul à connaître pour la partie qui me concerne et, parfois, d’une manière plus générale, pour ce que je sais de “l’histoire de la littérature pour la jeunesse”.
Une fois cette base établie, adhérant à l’idée qu'une partie de ce livre puisse me concerner, je souhaite et suis persuadé que tu t’arrangeras pour qu'il traite des livres que j'ai initiés, et publiés parfois, et qu’ils soient présentés comme étant les épanouissements des convictions et des options qui m’ont tenu à cœur et que j’ai pu actualiser, de 1965 à 1985, pendant ces vingt années de mon parcours professionnel.
Étant entendu que ce sont ces convictions, amorcées et forgées depuis “mon enfance sans livres” qui m’ont incité à choisir, à partir de mon entrée dans la vie professionnelle, en 1951, des options éditoriales qui allaient généralement à contre-courant des options conformistes traditionnelles admises aussi bien par les institutions de culture et d’éducation que par l’opinion publique.
Cependant, ne m’étant pas fait tout seul, même si ce fut souvent de bric et de broc, je dois humblement reconnaître que ce lent travail d’élaboration de ces options éditoriales, à partir de mes convictions – lente maturation qui n’intéressait personne et que personne ne pouvait soupçonner –, n’a pu se concrétiser et s’enrichir, au fil du temps, que par osmose avec les convictions, les théories et les pratiques de ceux et celles qui, avant moi, par leurs livres quand c’était des auteurs, par leurs images lorsque c’était des peintres ou des illustrateurs, et par leurs dialectiques lorsque c’étaient des penseurs, avaient expérimenté et donné corps à leurs idées créatrices.
Sans leurs influences stimulatrices je n’aurais rien fait sinon me contenter de “faire pousser des arbres” puisque c’était mon vœu de carrière.
Mes idées d’édition me sont venues par contacts, souvent des entrechocs, avec des personnes bien réelles. Contacts positifs ou insurrections. Ces contacts dans leur diversité constituant une chaîne dont tu connais déjà certains maillons :
-- Les illustrations des reproductions de tableaux du Larousse,
-- le livre de Jacques Prévert et Jacqueline Duhême l’Opéra de la lune ;
-- Marcel Aymé et Jacques Carelman pour Oscar et Érick ;
-- Miguel Demuynk et Mathilde Leriche pour m'avoi permis de m'entêter à vouloir solliciter Ionesco, Duras, Brisville, Beckett ;
-- John Ashbery et Harlin Quist, pour m'avoir permis de rencontrer Nicole Claveloux et la suite…
J’insiste à dire que mes convictions n’ont pu se cristalliser pour s’actualiser et devenir des actes que par la provocation et la stimulation des diverses qualités de contacts que j’ai pu avoir, concrètement ou en imagination, avec d'autres personnes du monde des arts et des lettres et des sciences de l’éducation.
Et, pour ce qui est de la réalisation et de la publication, avec des éditeurs avec lesquels j’ai été associé, de mon plein gré ou par nécessité, parfois sans les choisir vraiment, le plus souvent même en opposition avec eux (Jean-Claude Fasquelle, Jean-Pierre Delarge, Bernard Foulon) et par suite de réactions contraires et subversives à leurs options personnelles d’édition.
En fonction de ce premier point, je pense que, dans ton intérêt et dans l’intérêt du livre que tu prépares, ce livre devrait valoriser les illustrations qui ont donnés aux meilleurs albums publiés en gros de 1960 à 2000 (voire 2010, soit 50 années d’albums pour la jeunesse) leurs droits de pouvoir figurer comme étant représentatifs d’une partie, celle contemporaine dite d’avant-garde ou de jeune garde de tout l’univers de “l’histoire illustrée de la littérature pour la jeunesse”.
En tenant compte, bien entendu, de toutes les qualités d'illustrations qui ont marqué ta sensibilité, mais aussi des influences que ces illustrateurs-trices choisis auront exercées les uns sur les autres, de manière machinale, par imitation ou par non-adhésion, et sans que ces influences soient toujours décelables à première vue.
Alors qu’elles ont pourtant été conséquentes sur le plan historique puisqu’elles ont déterminé cette chronologie graphique qui doit être le fil de lecture de ton livre.
On ne pouvait plus, après les illustrations de Sendak et d’Ungerer, au début des années 60, continuer à illustrer pour les enfants de la même manière qu’auparavant.
Même Delpire devenait banal !
Car il me parait difficile, lorsqu’on était un illustrateur en 1965, de ne pas avoir été bousculé et propulsé à réagir, soit pour se remettre en question, soit au contraire pour se confirmer dans son propre style, lorsqu’on a été confronté aux styles de Claveloux dans le voyage extravagant et la Forêt des Lilas ou à ceux de Delessert dans Sans fin la fête et le Conte numéro 1 de Ionesco.
En considérant de plus que même les styles, pour chacun des illustrateurs dont tu retiendras des illustrations, évolueront au fil du temps, en fonction de leurs désirs de se renouveler pour se mettre au goût du jour ou en fonction des œuvres qu’ils auront à illustrer.
Les premiers livres de Claveloux, Couratin, Galeron, Corentin, Gauthier… étant bien différents de ceux qu’ils feront lorsqu’ils auront été sacralisés par Bayard Presse et qu’ils auront acquis droit de cité dans l’opinion publique.
Là, sur ce plan de la versastylité des illustrateurs (Claveloux étant l’exemple type) se trouvera, me semble-t-il, la plus grande difficulté du livre. Tourner des pages et voir des belles images est une chose mais si cela ne permet pas aux lecteurs de trouver et de se donner des lignes de forces, j’ai l’impression que le livre aura raté son but.
Il s’agira, pour que ton livre participe et contribue à sa manière, selon son angle précis « d’illustrations d’artistes de type graphique », impliquant ces 3 lectures dont j’ai parlé, participant de cette “histoire illustrée de la littérature pour la jeunesse”, que l’on puisse découvrir, en regardant toutes les images, une homogénéité graphique intérieure qui en constitue la trame et en traduit et en établit le lien.
Homogénéité qui ne dépend pas que de moi, ni même des illustrations que tu auras choisies, mais uniquement de toi, de ta manière de les présenter en fonction de ta propre cohérence graphique.
Ta difficulté consistera à re-situer, graphiquement et historiquement, ce mouvement de « l'illustration de type graphique » auquel certes j'ai contribué mais avec tous ces autres qu’il te reste à définir et qui, à mon avis, ont fait école comme moi, et ont, un tant soit peu, marqué leur temps.
Bien à toi. François.
2020 03 30 DE LB
De: limprimante <bureau@limprimante.com>
Objet: Au hasard de mes lectures
Date: 3 mars 2020 à 11:02:24 UTC+1
À: Ruy-Vidal François <ruyvidal@free.fr>
Merci François, la question que je me posais était la suivante :
je rentre de Lyon où j’ai passé un peu de temps avec les bibliothécaires du département jeunesse de la Part-Dieu en vue de préparer une exposition qui se tiendra conjointement à la sortie du livre qui m’occupe en ce moment et qui traitera, tu t’en doutes, du même sujet.
J’avais pris avec moi le Journal en désordre de Massin - conséquemment à son décès on m’a commandé un article en hommage à ce graphiste. J’y apprends entre autres choses qu’à l’enterrement d’Eugène Ionesco il y avait un gros bouquet pyramidal avec cette inscription « La petite Josette des Contes à son papa ».
Le savais-tu ? Y étais-tu pour quelque chose ? Amitiés, Loïc
2020/03/30 A LB
Oui, j'ai aussi appris sa mort. Que dire ?... Il m'a plusieurs fois sollicité comme ceux, ses compagnons de Lurs, l'avaient fait aussi.
Mais je ne me sentais pas de ce monde-là.
J'avais décliné l'offre de Claude Gallimard et je ne voulais pas tomber dans le panneau du travail à la chaîne.
Lui m'intéressait quand il me parlait de typographie, comme Jérôme Peignot qui finalement était devenu mon ami avec son ami, le peintre-illustrateur Robert Constantin...
Massin était touchant, un vrai artiste-ouvrier qui savait perdre des heures en recherche et mise au point, lettre à lettre quand c'était de la typo et recommencer sans cesse par essais et épurations successives.
Mais il ne savait pas tellement parler de son travail et moi non plus.
J'ai changé après, quand j'ai compris que les bibliothécaires et les parents restaient toujours en surface des livres, limités restrictivement,au prétexte qu'il s'agissait d'enfants, à l'idée qu'il fallait être simple et surtout compréhensible.
Ionesco nous avait rapproché.
Il m'avait offert son livre sur “la cantatrice chauve” et nous nous étions retrouvés à une représentation de “la leçon” au petit théâtre de la Huchette ou Catherine Alméras, ma collègue du Cours Dullin, interprétait le personnage de Ionesco.
Il m'appelait parfois quad il était en panne d'illustrateurs pour ses couvertures de Folio... Il n'avait pas beaucoup de conversation et moi, j'économisai la mienne, parce qu'il faisait partie du clan Gallimard et qu'il était plutôt lié avec Pierre Marchand.
J'avais tort certainement car je n'ai rien à lui reprocher. Il était humble : un artiste ouvrier comme j'aurais aimé être considéré !
Cela mis à part : je suis inquiet que tu te déplaces en ce moment. Si j'étais ta femme je t’interdirais de sortir de notre chambre.
Sois prudent. FRV
Celui du 10 avril relatif au décès d’Alain Gauthier :
Je te retransmets cette nouvelle au cas où tu ne l'aurais pas appris par quelqu'un d'autres. Sa mort m'atteint. De toutes les personnes que j'ai connues dans la profession c'était le seul vrai ami. Un homme intègre. Son épouse Élisabeth est une bonne personne.
J'avais fait acheter, par une amie, un tableau de lui que j'aimais particulièrement... Un tableau étrange et curieux dont j'ai une copie, représentant une nymphette de plâtre emportée par un trio composé d'un homme en smoking à tête d'oiseau, d’un autre à tête d'âne rose, et d'un Mickey magnifique...
Oui, comme le dit, Janine Kotwika, je lui avais rendu hommage en racontant la pression inutile qu'avait tenté d'exercer sur moi le chantre de l'illustration des années 70 qu'était Jean-Pierre Desclozeaux et l'insistance avec laquelle le clan de Geneviève Patte l'excluait, en prétextant, en raison de la sensualité de ses illustrations, que ce n'était pas un illustrateur pour enfants.
La couverture des Papillons de Pimpanicaille est pour moi la plus belle des couvertures de livres que j'ai publiées.
Je repense au message de France de Ranchin que je t'ai adressé. Avec son message figurait la liste d'envoi à ses amis. Ce dont je n'avais pas conscience. Je ne m'en suis aperçu qu'après. Tu as pu te rendre compte : le nom de Brigitte Lacroix faisait partie de cette liste. Femme de Georges Lacroix, ami de France et de son mari Jean Seisser.
Tout trois faisaient partie de cette jeune équipe rencontrée à Strasbourg au cours d'une expo alors que je planifiais à ce moment-là, avec un imprimeur de la ville dénommé Fischer, rencontré à la foire de Francfort, qui s'était extasié sur les originaux de Claveloux de La forêt des lilas et voulait à tout prix, c'est-à-dire sans garantie de paiement puisque je n'avais pas de quoi le payer, que je lui confie l'impression du livre.
M'invitant dans sa cave à prendre un pot, je découvris ses vieilles bouteilles empoussiérées, ornées d'étiquettes, illustrées à l'ancienne, qu’avait réalisées Claude Lapointe...
Ce Georges Lacroix, qui avait du talent, garda (le manuscrit de Duras) – après Le Foll qui l’avait gardé 14 mois –, pendant 9 mois en ne me donnant qu'une seule illustration de couverture : une main verdâtre fantastique, celle d'un marionnettiste manipulateur...
Si tu ne le sais pas, je te signale que Jean Seisser mari de France de Ranchin, est un ami et un agent des frères Di Rosa avec qui il est constamment en contact et qu'il a contribué à la fondation du Musée d'Art Modeste de Sète.
Groupe dans lequel figurait aussi Robert Combas.
Voilà c'est tout pour aujourd'hui.
J'espère que tu ne vadrouilles plus. Prends-garde à toi et aux tiens.
Amitié. François
Arrêté le 7/03/2022
François Ruy-Vidal